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BIBL10T11EQUE SOCIALISTS. N" 5

PROUDHON

PAR

HUBERT BOURGIN

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PARIS

SOCIETE NOUVKLLE I>E LIBRAIRIE ET D'EDITION

(LIBRAIRIE GEORGES HELLA1S)

RUE CU J AS, 17

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PROUDHON

th^ologien; il apprit rii6breu, et, par celte voie, s'aventura dans la gramma ire comparee. En 1831-1832, il fit son tour do France, par Paris, Lyon, Marseille, Toulon; il clionia plus d'une fois, connut le besoin, se sent it superieur a son etat, observa la socictc de pres ct sans indulgence, devint republieain. De retour a Bcsan-con, des offrcs lui furent (aires par le journal phalanslerien VImpartial : il les refusa, pour conserver son inddpcndance et Fcndcrc disposition de sa pensee; il connaissail I\i;uvre de Fourier el la doctrine de son ecole, donl le premier organc, te P/ta/ansferc, coinmencait alors a paraitre; il connaissait PuMivre et la doctrine, les disentail, et n y adherait point. Apres un voyage a Paris et un second lour de Fiance (1833), il quitla, en 183G, sa place de correcteur pour fonder, a Besancon inline, avec deux asso-cies, une petite imprimeric : il n'apportait dautres capitaux que son intelligence et ses travaux commences ou projetes; rimprimerie ne tarda pas a pcricliter, et, en 1837, la lblie de l un des associes en causa la fermeture immediate, suivie d une lente ct difficile liquidation. Par bonheur, la niemc annce, la pension Suanl, fondation de FAcademie de Besancon, devint vacanle : Proudhon posa sa candidature; e'etait une rente de 1 500 francs pendant Irois ans. II fill choisi. En 1838, il alia s'installer a Paris.

Deux travaux academiques, sa dette de reconnaissance, furent ses premieres ceuvres (1839) : e'etaient deux produits immediats de ses eludes grammaticales ct theologiques, — un nigmoirc ou il reprenait les icl6es exposees par lui dans un Essai de grammaire generate, ingenieux et aventureux, qu'il avait public sans signature en 1837, — et un opuscule sur I'Uti-lite de la celebration dit dimanche, qu'il jugeait revolutionnaire, parce qu'il y entrenielait de vagues fheories egalitaircs line paradoxale interpretation de la loi de Moise. Jusqifalors, Proudhon ne savait s il serait grammairien, mclaphysicien ou theologien : en moins de deux ans, il se revela a lui-ineme et an public.

11 n'avait (ormellement proinis a TAcademie de Hcsancon qu'une chose, eVst de travailler a ('amelioration inaterielle et morale de ceux (|inl appelait ses freres, les ouvriers : il com-prit la taclie qu'il avait assumee quand, des le debut de son sejour a Paris, il lit la connais-sancc. quil se figurait etre la decouverte, de rcconomic politique. II suivit les cours des economistes orthodoxes et libcraux, lut leurs ouvrages et ceux de leurs devanciers, puis ceux des socialistes de toutes les ecoles, absorbant tout sans distinguer et sans compter. En meme temps qu'il etudiait, il faisait la critique de ses maitres divers, et, a leurs theories, pen a peu, opposait les siennes. De ce travail complexe sort i rent les deux Me moires sur la propriety, le premier intitule: Qu'esl-ee que la propriete? ou Recherches sur le principe du droit et da gouvernenient (1840), le second publie sous la forme d'une Lettre a M. Blanqui, professeur d'eeonomie politique (1841). Cos mcmoires, re-tentissants eI violents, natteignircnt point le grand public, mais inquieterent 1c gouverne-ment, qui prit lexle d une brochure lancee par Proud lion contre les phalansleriens, VA\rrtis-sement aux propriet aires (1842), pour le pour-suivre en com- d'assises : il fut acquitle.

Ce proces lc convainquit que du pouvoir il ny avail rien a attendre ; et il se remit a lelude desqueslions el des principes. 11 prit line con-naissance approfon<lie du saint-simonisme, en particulier des travaux d'Augusle Comte, du lourierisme, de r economic classique, el rec.ut de Charles Grim des notions sur la philosophic allemande, notamment sur Hegel et Feuerbach. En inline temps, ayant obtenu un einploi important dans une grand e maison de transports fluviaux, a Lyon, il y apprit la vie el le meca-nisme du commcrce, do la banque, des entre-prises. Le resultat de eet exercicc constant el varie de son activite intellectuelle fut la publication de la Creation de I'ordre dans Vhuma-nite (1843), d'un travail sur les Chemins de fer et les coles navigables (1845), enfin du Syslenie des contradictions economiques on Philosophic de la mi-sere (1840).

Cependant, il nc tardait pas a se rendre comple que des traitos comine ceux qu'il avait publics jusque la, tout en lui valant parlois res-time des savants et desprofesseurs, no laisaient point a ses idees de popularity dans le public; il se decida a fonder un journal, pour y expo-ser les solutions des problemes economiques et sociaux auxquclles ses recherches theoriques et critiques lavaient conduit. La revolution le devanca, et, posant a la loisloutesles questions, liAta les reponses quil y pr^parait. II les repan-dit dans ses brochures : Solution du probUnte social, Organisation <lu credit, Resume de la question sociale (1848); dans ses journaux, U Representant da Peuple (1-848), le Peuple (1848-49), qui lira reguli6renient a 50.000, et excep-tionnellement a 70.000 exeniplaires, la Voix du Peuple (1849-50), qui tirait encore a plus de 20.000. le Peuple de 1850; eerases d'amendes, ces journaux succomberent les uns apres les autrcs, niais IVfFet produit par eux fut grand.

Le 4 juin 1848, Proudhon avait ete elu a 1'As-semblee naliouale pour le departeinent de la Seine; il s'isola a lextrOme gauche, a cote et en dehors de la Montague, et resta sans action sur TAssemblee, qu'il deconcertait. II s efforca de constituer en France un parti purement socia-liste et revolutionnaire, el peut-£tre eiit-il reussi sans le coup d Etat et la reaction bona-partiste : condamne en 1849 a trois ans de pri-son*pour outrages en vers le prince-president, son incarceration n avait pas diminue son influence; il avait public, de sa prison, a un fort tirage, les Idees revolutiounairesy recueil d'ar-ticles du Representant et du Peuple, et les Con-fessions d'un revolutionnaire (1849); son Idee generale de la Revolution au XIX0 siecle (1851) se vendit a plus de 20.000 exemplaires.

Lecoup d'Etat eclaira Proudhon sur lesforces vcritables de la democratic socialiste, et lui demontra l'insuffisancc et la vanite de toute action politique avec on sur les masses populates encore inconscientes et inculles. 11 revint aux travaux de science, do philosophic, d'his-toire, et,en mi labeur immense, reprit ledifica-tion patienteet complete de son auivre positive, it laquelle la Philosophic du progres (1853; sert d'introduction. La Justice dans la Revolution ct dans VKg Use (1858), La Guerre et la Pair eI la Theorie de Viinpot (1861), les Majorats litteraires (18G2) ne sont que des fragments, mais des fragments considerables de cette ocuvre.

Dans sa retraite de Bruxelles, oil il avait fui, en 1858, un emprisonneinent prononce contre lui pour sa publication de la Justice, Proudhon commencait un grand traitd sur la propriety quand, de nouveau, la politique le detourna de (economic sociale. Cette fois, cc fut la politique exterieure. La question de limite italienne etait alors debattue par la diplomatic et par ropinion de I Europe entiere : Proudhon prit parti, dans la Federation et V unite en Italic (1862), dans le Principe, federatif {1863), qui le ramenait aux questions de politique interieure. Depuis 1860, par ses amis bourgeois, et ensuite par ses publications, ses idees avaient recommence a penetrer dans le pen pie. Le reveil democratique de 1863 leur fut une occasion de s'affiriner. Rent re a Paris en 1862, il recom-manda l'abstention aux elections de 1864, en guise de protestation cont re le gouvernement de Fein pi re ; des centres d'opposilion se lor-merent autour de ce programme; il y eut, aux elections, environ 4.600 protestataires a Paris, et 63.000 dans les departeinents. Cette politique continua a recruter des adherents, et Proudhon se proposait de rediger pour elle un manuel pratique en ecrivant la Capacite politique des classes ouvrieres : il mourut le 16 janvier 1865, avant de l'avoir publie.

11 laissait de nombreux ouvrages, plus ou moins inacheves, d'economie politique, de morale, de politicjue, de litterature et d'art; il en a ete publie une grande partie. Les plus impor-tants de ces ouvrages sont la Theorie de la pro-prietc (1866), la Theorie du mouvement constitu-tionnel au XIX0 siecle (1870), le Principe de Vart (1875). La correspondance de Proudhon a ete recueillie en quatorze volumes in-8° (1875)..

l'homme

La figure <le Proudhon n est pas moins int£-ressanle que sa vie. Cette vie, tout entiere, fut celle d un paysan robuste et laborieux, fruste et incorruptible. II a crease son sillon presque sans arret, et sans deto timer la tete ; il a traverse la politique sans y rien laisser de sa conscience; envers ses creanciers — il en eut jusqu'a sa mort— il s'est comporte avec une probite ct une delicatesse qui lui out vain le»r amitie el leur respect. 11 a eu do nombreux et d'excellents amis, el il les a conserves. Sajeu-nesse fut austere; marie par devoir plutot que par amour, il avait le culte de la famille, et il entretint dans la sienne des sentiments dhon-neur, de noblesse et deleyatjon morale.

II travailla sans rclache, presque toujours avec gout, avec bonne humour, avec espoir; il s'etait fait du travail, qui fut pour lui une necessity durable, eomme une religion. Une vocation irresistible l'entralna, lui, petit paysan, et jeune ouvrier, an travail de l'esprit. Son intelligence, ouverte de tres bonne heure, fut une des plus vives, des plus excitables, des plus vastes qifon ait vues en ce sieele. Sans cesse il voulut apprendrc, pour comprendre davanlage, et pour faire jaillir cles idees l'evidence de la verite on de Terreur. D'une sincerity intellec-tuelle absolue, une adhesion anterieure ne lilt jamais pour lui une raison suffisante de niaintc-nir une proposition demontree fausse. C'est pourquoi il fut, avec un entrain qui ne craignait pas le scandale, un admirable critique d'idees, et pourquoi il ne s'embarrassa pas de ce qu'on appelle contradictions. II reconnaissait a son intelligence le droit de progresser sans arret, et d'etendre indefinimcnt sa comprehension, au risque d y juxtaposer des notions diflicile-ment conciliables, et d'v laisscr coexister cles conclusions successives. C'est ce qu'il ne faut pas perdre de vue quand on etudie ses idees positives, auxquelles on ne doit pas faire tort, comnie on l'a fait trop souvent, au profit de ses negations.

Ill

l'ceuvre

I. — La propria *

(1840-1842)

Le premier memoire sur la Propriete fixe la destination de Proudhon comtne economiste, philosophe et critique : des lors, il concoit son ceuvre comme une critique sociale, appuyee sur la science economique, et propre a degager des faits observes la philosophie qui justifiera les solutions pratiques et les reformes ulte-rieures. Ge memoire est une oeuvre considerable et qui fait epoque dans Thistoire du so-cialisme francais; il marque la fin des declamations humanitaires, et ouvre la s6rie des contestations positives et des discussions scienti-fiques. II contient des violences, mais il faut les considerer comme un appel au public et comme une sorte de reclame bruyante, dont la doctrine eut pu se passer.

La propriete est sans fondement devant la justice et devant la raison, et c'est pourquoi on ' peut dire qu'elle est un vol. Elle est injusli-fiable par 1'occupation, car Toccupant n'est que

1. Qu'est-ce que la propriete?, Lettre a M. Blanqui, Aver-tissement aux proprietaires.

possesseur on usufruitier. qualite qui cxclut cello de proprietaire. Elle est injustifiable par le travail : d'akord, pour travailler, il faut oc-cuper Fob jet clit travail ; puis le travail n'a en soi aucune puissanced'appropriation s'etcndant a ses instruments, et n'est createur d'un droit de propriete que sur son produit. Fax consequence, il n existe pas de droit individuel de propriete sur les instruments de production, objets de possession pure el simple, mais, en revanche, «le travailleur conserve, nifimc apres avoir recu son salaire, un droit naturel de propriete sur la chose qu'il a produite » (Qti est-ce que !a propriete?^. 94); la propriete defendue par les codes n'est que le droit sans droit que le possesseur, ou faux proprietaire, s'attribue sur le produit du travailleur; ee droit d\tubaine porte, selon les cas, les noms de fermage, loyer> rente, interet; profit. Le fermage, par exemple, n'est qu'un impot de monopole, leve par le proprietaire, qui, n'ayant pas cree rinstrument du travail, la terre, s'en fait payer le service.

La propriete, injustifiable dans son institution, aboutit a une serie d'iniquites : par ses prele-Yemenis succcssifs et divers, elle augmente les frais de la production; par le surelevement des prix, greves des benefices des proprietaires, elle rend impossible au travailleur le rachat de son produit; elle est incompatible avcc l'ega-lite politique et civile. Elle doit &tre abolie. Sa suppression perniettra le developpement des formes de la liberie dans le regime egalitaire de Yanarehie.

Cc que seront ces formes de la liberie, ce que sera i'Etat sans gouverneincnt, I'Etat sans Etat, on anarchie, le premier memoire ne ledit point; el le second memoire, laissant egale-inent ces questions sans reponse, reprend, au point oil s'etait arrdte le premier, celle des voies d'execution. La propriete doit 6tre abolie : mais elle est deja en passe de Tetre. L'expro-priation pour cause d'utilitd publique est une atteinte a la propriete; la conversion des rentes en est une autre; la loi de 1841 sur les hypo-theques et les ventes judiciaires, en facilitant, en accelerant Impropriation, en est une autre. Sur cette route, oil la societe s'engage chaque fois qu'elle y entrevoit pour elle un avantage, il faut avancer resolument : il faut abaisser le taux

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de Tinlercl, donner a I'Etat un domaine eminent sur tous les capitaux, rachetcr les grandes pro-prietes par le paieinent d'une rente viagere. Ainsi la propriete sera provisoirement laissee en Petal, mais ses injustes prelevemcnts seront graduellement et successivement supprimes, et ses droits de fait peu a pen prives de matiere et cl'objet.

II. — La m&hode s^rlelle et les contradictions economiques 1

(1843-1846)

La critique de la propriete impliquait un sys-t6me posilif d'economie et de politique que

1. Creation de lord re, Systeme des contradictions Economiques.

Proudhon s'etait contente d'indiquer; il lui res-tait a donncr a cc systeme une base plus large que sa critique partielle. 11 se posa, dans la Creation de I'ordre, la question de methode generale. L'ordre social ne peut 6tre que le resultat de Tapplication rationnelle de lois eta-blies par la science. L'humanite est arrivee au point de son progres ou elle reconnait enfin le pouvoir de la science, comprehension claire et complete de I'ordre de runivers ; elle a passe l^ge de la religion, qui est Texpression instinctive et confuse de cet ordre, l';\ge de la philosophic, qui est le desir de la science, l'Age de la metapliysique, qui en est la recherche. La religion, la philosophic, la metapliysique nont donne aux homines que des explications et des solutions insuffisantes; cc qui reste d'clles doit disparaitre. La science est la decouverte des lois generales qui regissent les dillerents ordres de phenomenes : or, toute loi generale est une loi serielle, c'est-a-dire une loi qui regie renchaineincnt et le rapport des phenomenes groupes en series; le but de la raison scientifique est de retrouver dans les phenomenes les series et leurs lois.

La science de la production et de la distribution de la richesse, Yeconomie politique, qui n'est pas encore constitute en tant que science, relive de la raison scientifique ; sa methode est la methode serielle, et cette methode doit ra-mener tout le systeme des faits economiquesa une serie qui en soit la representation exacte. Ainsi, le fait generateur de la science economi-que est le travail; Ie travail effectue a nom sproduit; le produit propre a satisfaire un be-soin est une valeur; les valeurs deviennent utilisables par Yecha'nge) des valeurs accumu-lees fonnent le capital; la serie se eonstitue et appelle la constitution d'autres series. Si Ton reconnait le d^sordre actuel de la societe, et si Ton desire remedier aux maux qiTil cause, on devra recourir a la science economique, cicatrice de l'ordre.

Or, la serie totale construite par la science se presente sous la forme d'un systeme des contradictions economiques. En effet, tous les pheno-menes Economiques apparaissent avec deux faces, et les propositions destineesa en expri-mer la signification sont necessairement deux propositions contradictoires, these et antithZse, qui supposent une synthase a decouvrir.

1. La valeur se decompose en valeur d'usage et valeur d'echange : or, ces deux valeurs sont en raison inverse ; la valeur d'echange decroit a mesure que la production de Tutilite aug-mente. 11 y a la contradiction, antinomie. Cette anlinomie se resoudra dans une synthese. La valeur ne doit pas 6tre consideree comme Tele-ment analysable d un produit isole; elle est le rapport de proportionnalite des produits qui composent la richesse : or, on concoit que cette proportionnalite puisse &tre determinee a un moment donne; il restera a decouvrir la loi de cette determination, et le rapport de chaque produit a la richesse totale, c'est-a-dire sa va-leur. La monnaie offre le premier exemple (Tune valeur ainsi.constitute et fixee, d une va-leur synthetique ou sociale, d'une valour vraie.

2. La division da travail est productrice de biens el de maux. Elle a pour consequences la multiplication des ricliesses et le periodionne-ment de la main d'ceuvre, mais aussi ranioin-drissemenl mental ct physique de l ouvrier confine dans satache speciale. On n'a Irouve que des palliatifs impuissants conlre cc progres de la misere, lie au progres memo de rinduslrie ct de la production.

3. 11 semble (|ue Ics machines soient un remede cnergique et efficace a rnppauvrisse-ment des travailleurs, car leur emploi et leur propagation ont pour efTet rabaissement des prix, Taccroissement de la consommation, Taug-mentation du bien-^tre : elles portent en clles-memes leur contradiction, car elles produisent ravilissement des salaires, le chomage, latyran-nie du capital.

4. La concurrence est un mal ct un bien; elle est la guerre universelle, mais elle est la condition de Taclivite humaine.

5. De la concurrence resulte le monopole, qui en est Tanlinomie. Le monopole est la fin, le but et le prix de la liberte, de l'energie et du developpement de l'homme; mais il est la cause la plus puissante d opprcssion et de soullYance.

6. Contre le monopole s'eleve la police ou Vi/npdt, comme une revanche de la societe, comme une organisation de justice. L'impot semble une redemption de tous les monopoles.

Mais rimpot est lui-meme inique el mauvais : rimpot de repartition est presque tout entier paye par ceux qui ne possedent rien; rimpot de quotite ou de consommation frappe surtout le consommateur pauvre; les institutions qu en-trelient l'impot sont dirigees contre le proletariat accable par lui. La proportionnalite qu'on attribue a rimpot est en realite unc progression a rebours, dans le sens de la misere. Toutes les formes d'impot sont vicieuses et malfai-santes.

7. Le lib re e change est necessaire an deve-loppement de la product ion* et de la consommation, mais il exaspere la concurrence et conso-lide le monopole. La protection fait peser sur les consommateurs, sur les pauvres, le plus lourd des impots. Mais ici la solution de Tantinomie apparait dnns la balance du commerce, qui serait une serie de droits diff^rentiels, ration-nellement el scientifiquement determines, a egale distance de la liberie et du prolection-nisme.

8. II est deux formes de credit, contradic-toires et absurdes : la premiere appartient au systeme de la banque de depdt, « un systeme dans lequel, pour delivrer au negociant des es-peces, la banque commence par lui demander les especes qu'il a, ce qui. implique nullite de credit pour quiconque ne possede point d'ar-gent : absurdite »; la secoride apparlient au systeme de la banque de circulation, « un systeme dont le dernier mot est que, pour faire de Fargent, il suffit d'un carre de papier dont la

valeur est nulle : absurdite » (Contradictions, II, 103). Le credit est une source debiens: il ouvre des debouches, il est un agent actif de Emancipation du travail, du progres; le credit est une source de maux : il assure le pouvoir du capital, consolide la suprematie de l'argent. Ces vices disparaitraient, ces contradictions se resoudraient le jour oil le credit organiserait la circulation desbiens, c'est-a-dire oil il cesserait d'etre credit pour devenir mutualite, association, solidaritc.

9. La propriety est l'antithese du credit : le credit tend a enlever toute personnalite a la possession et au monopole, la propriete fixe la possession et attache le monopole a lapersonne. Par rhypotheque, la propriete unit la personne humaine a la terre; par la famille, elle garantit la transmission et la perpetuite du monopole; par la rente, elle exploite le monopole, et en tire une retribution sans travail. La propriete est sans droit, injuste; les formes les plus variees du vol s'y manifestent, elle est vol.

10. A la propriete s'oppose la communaute, mais la communaute est ellc-m£me vicieuse et pleine de contradictions : elle prend sa fin, la fraternite, pour son principe; elle est impossible sans une loi de repartition, et la repartition la detruit parce qu'elle reconstitue le tien et le mien, Tindividualisme, Pegoisme; elle exige une loi d'organisation, et l organisation com- . porte la division du travail, et la division du travail a besoin de la liberte, qui tue la communaute.

II. Dans la question de la population reparait en raccourci toute la serie des contradictions economiques : le developpeincnt de la population entraine le developpement de tous les biens et de tous les maux que cette serie con-tient en elle. La misere de la population, sans cesse accrue pour la misere, resulte de l'anta-gonisme Economique. Des lors, il serait illusoire de poursuivre une solution particuliere; c'est Tantagonisnie general qui doit etre detruit.

L'objet de la science economique est la justice. Pour etablir la justice, il faut faire I' « equation generate » de toutes les contradictions de Feconomie. Quelle sera la formule? « II nous est permis de Tentrevoir: ce doit etre une loi d'echange, une theorie de mutuality, un systeine de garanties qui resolve les formes anciennes de nos societes civiles et commercials, et satisfasse a toutes les conditions d'ef-ficacite, de progres et de justice qu'a signalees la critique » (II, 397). Une fois achevee l'enor-me et laborieuse critique, il va s'agir d'expri-mer dans toute sa force, en pleine lumiere, la formule entrevue.

III. — L'organisation du credit et de l'^change

et l'anarcliie{

(1848-1852)

II semblait que la formule dut etre simple: elle apparut double, economique et politique,

1. Solution du probleme social, Organisation du credit, Droit au travail, Resume, Banque du peupte, Demonstra-»

ses deux parties, au reste, se tenant, se compliant, se supposant.En politique, substitution AeYanarchie a la democratic; en economie, organisation du credit et de la circulation : tel fut le programme.

Ce qui constitue avant tout la vie economique de ia societe actuelle, c'est la circulation, Yechange; et la forme d'cchange qu a introduite et que reclame, de preference a toute autre, le progres social, c'est le credit. Mais, pour pro-duire toute son utilite sans risque d une contrc-partie d'effets nuisibles, le credit doit clre uni-versel et gratuit. La proclamation du droit au credit doit remplacer la proclamation du droit au travail, illusoire tant que s'elevera, en face ' du travail, la propriete, son antagoniste et sa contradiction. L'organisation du credit suivra la proclamation du droit au credit, mais l'orga-nisation du credit ne serait rien sans Torga-nisation de la circulation ; or cette organisation peut ctre realisee d'un coup par deux mesures : la lettre de change sera generalisee, le papier de banque sera gage par des produits.

Tous ceux qui produisent ou negocient adhe-reront a une banque, ou la lettre de change sera la seule valeur circulante. La lettre de change ne portera aucune indication de lieu, de date, de personne ; elle comportera seulement change, acceptation et provision; cette provision sera

tion du socialisme, Confessions, Into ret et capital, Idee generate de la revolution, La revolution sociale demontrce, Journaux.

placee dans les fabriques, manufactures, comp-tojrs. La let!re sera payable a vue et a perpe-tuile; ellc sera garantie par tous les souscrip-teurs de la banque; elle ne sera pas depreciable : il n'y aura pas de suremission possible, puisque la lettre ne se delivrera que contre des valours reelles. L'application.de ce systeme de credit aura des effets dans l'ecoiiomie entiere de la societe, el la transformation de la pro-priete en sera la consequence.

Le probleme se pose ainsi : les produits ne s'echangent que contre des produits; comment retablir l'echange direct? « Centraliser toutes les operations de commerce au moycn d une banque, dans laquelle seront recus toutes les lettres de change, mandats et billets a ordre, representant les factures des negociants; puis generalise!* on converter ces ol)ligations en un papier qui en serait requivalent, qui, par consequent, aurait lui-meme pour gage les produits ou valeurs reelles que ces obligations representent » : telle est la reponse (Resume de la question, sociale, p. 39).

Le plan de constitution de la banque d'echange est le suivant. La banque d'echange est organisee sous forme de societe, qui a pour but de « procurer a chaque membre de la societe, sans le secours du numeraire, tous les produits, den-rees, marchandises, services ou travaux; ulte-rieurement, de procurer la reorganisation du travail agricoleet industriel, enchangeantla condition du produeteur » (art. 2, p. 41). La societe n'a pas de capital (art. 4). Le papier social rem* place le numeraire ; il ne represente pas le nu* meraire, mais les diverses obligations des mem-bres de la socidte, et les produits qui les ont fait naitre. Le papier social comprend des bons d'c-change de 20,100, 500 et 1.000 francs (art. 10.) Les principales operations de la banque d'echange sont: remission du papier social, l'escompte du papier de commerce, l'escompte des commandes et factures acceptees, les ventes et achats sur consignation, le credit a decouvert sur caution, le credit sur hypotheque, les paiements et recouvrements gratuits, la commandite. Pour toutes ces operations, la banque ne preleve qu'une commission de 1 0/0 pour les fraisd'ad-ministration (art. 19-21). La banque est inde-pendante de I'Etat, mais I'Etat pent en devenir societaire, auquel cas il s'engage a faire rece-voir le papier de la banque dans les caisses pu-bliques, et la banque lui fait sans interet toutes avances jusqu'a 500 millions (art. 54 et suivants).

En faisant connaitre Tetat de la production, des debouches, desbesoins, la banqued'echange met efficacement producteurs et consomma-teur en communication, et rend possible Yechan-ge direct et gratuit. Sur la fortune sociale sa puissance d'action sera enorme; elle permettra la suppression de l'inter^t, dc la dette hypothecate, de la dette publique, de la douane, la simplification et la diminution.de l'impot; dans l'economie reformee de la societe, la greve et le chomage n'auront plus de raison d'etre, et les improductifs, convertis en producteurs aprfes la destruction de leurs monopoles, ajouteront

leur part due a la richesse publique : lasomme de ces divers profits, dont beneficiera la com-munante, pent etre evaluee a plus de sept milliards.

Le projet de constitution de la banque. d'echange obtint Tadhesion des principaux representants de 1'opinion socialiste et demo-cratique; mais, en depit de ces approbations, l'esprit critique de Proudhon ne pouvait pas se contenter longtemps des donnees imaginaires et des evaluations hypotlietiques que ce projet conlenait. II abandonna son projet de banque d'echange, pour le remplacer par le projet d'une banque du peuple.

Le 31 janvier 1849 furent signes Tacte de fondation et les statuts de la societe de la banque du peuple. Le but de la banque du peuple est d' « organiser democratiquement le credit : 1° en proeurant a tous, aux plus bas prix et aux meilleures conditions possibles, l'usage de la terre,. des maisons, machines, instruments de travail, capitaux, produits et services de toute nature ; 2° en facilitant a tous T^coulement de leurs produits et le placement de leur travail, aux conditions les plus avantageusesw. La banque du peuple doit operer sans capital, mais, Tadhesion cle tous les con-sommateurs et de tous les produc.teurs etant necessaire a cette fin, elle sera provisoirement constituee au capital de 15 millions, represents par actions de 5 francs (art. ler et suivants). Les operations de la banque du peuple sont les m6-mes que celles de la banque d'echange, et, en plus, le service des caisses d'epargne, de se-cours et de retraile, le service des assurances, les consignations et depots, le service du budget. Le papier de credit de la banque se compose de bons de circulation ; le bon de circulation est« un ordre de livraison revelu du carac-tere social rendu perpetuel, el payable a vue par tout societairc et adherent en produits ou services de son Industrie et profession ». Les bons sont acceptable* en tous paiements cliez les adherents de la societe; « la soeiele n est pas tenue a leur remboursement en especcs, il n est que facultalif pour elle, mais elle en garantit obligatoirement l'acceptation aupres de ses adherents ». Tout adherent s engage a se four-nir de preference chez les adherents, eta four-niraux adherents a prixreduit; le paiement se fait en bons de circulation (art. IG-22). Les con-sommateurs desirant jouir du bon marche des produeteurs adherents verseront a la banque du numeraire, en echange duquel leur seront remis des bons; les sommes versees seront im-productives d'interet (art. 30). La banque pour-ra pourvoir a retablissement de boulangeries, epiceries, comptoirs, oil se fourniront les por-teurs de bons, etquiauront une administration independante; elle palronnera de ses encouragements et avances les enlreprises, les associations ouvrieres qui meriteront d'etre sou-tenues.

En somme, la banque du peuple realise l'ap-plication des principes suivants, a savoir : « que toute matiere premiere est fournie gratuitement a I'hommc par la nature; qu'ainsi, clans l'ordre economique, tout pr'oduit vient du travail, et re-ciproquenient que tout capital est irnproductif; que, toute operation de credit se resolvant en un echange, la prestation des capitaux et Tes-compte des valeurs ne peuvent et ne doivent donner lieu a aucun interet ».

Pour foci liter et regulariser ces operations de credit gratuit et d'echange direct, il est des a present cree, comme une division speciale de la banque, un sijndicat general de la production et de la consonunation. Le but de ce svn-dicat estde recevoir toutes declarations et ren-seignements des producteurs et des consomma-teiirs; de publier un bulletin de Tagriculture, du commerce et de l'industrie, ou seront inse-rees les mercuriales, les offres et demandes de travail, de marchandises; d'entrej)rendre une statistique comparative, generate et detaillee, de l agriculture, du commerce et de Tindustrie. Le syndicat de la production aura eonime attributions de conslituer la corporation libre et de-mocratique en lant que regime definitif des tra-vailleurs, de provoquer les associations, de cen-traliscr les rapports des producteurs, controler les produits, repartir le travail entre les cho-meurs, organiser Tassurance mutuelle, fonder une caisse centrale <4e retraites. Le syndicat de la consonunation se chargera « d'entrepo-ser les matieres premieres et les produits manufactures, ainsi que den operer Tecoule-ment »; il « creditera de matiere premiere les travailleurs, et fera toutes avances sur- consignation de produits manufactures » ; ce sera « une maison de consommation et d'approvi-sionnement general » (Rapport de la commission du Luxembourgj.

Ainsi s'etait elargi, tout en devenant plus precis, plus voisin de la realite, plus iinmedia-tement utilisable, le projet d'organisation du credit et de Techange. A la banque du peu-ple aflluerent les adhesions; des actions furent souscrites, un premier capital forme, des comi-tes constitues en province pour faire connaitre la banque et recruter des adherents. La con-damnation, rexil volontaire, remprisonnement de Proudhon eurent pour resultat Parrel des demarches, la dissolution des premiers cadres de la societe, la liquidation, le tout en quel-ques semaines. L'experience, qui paraissait favorablement commencee, ne pouvait avoir lieu ; mais Proudhon, en y renoncant, declarait qu'elle serait reprise. Les circonstances ne le permirent point.

Aucun des plans de reforme economique de Proudhon ne supposait une participation quel-conque de TEtat; ils supposaient, au contra ire, une reforme politique qui, en supprimant l'Etat, devait ^tre la condition de leur application ais£e, durable, fructueuse. San^doute, loin que d'une revolution politique puisse sortir la revolution sociale, c'est de la revolution sociale que sor-tira la revolution politique; mais la suppression de V&tat est la condition premiere de la revolu-