MICHEL BAKOUNINE

et

KARL MARX

VïctoR jDave

introduction de :

Jean Bar rue ,

FÉDÉRATION ANARCHISTE

Secrétariat aux Relation* Internationale 3, Rue Ternaux PARIS-XI*

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INTRODUCTION - - •

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Les camarades du groupe "Sébastien Faure", qui réunit les anarchistes bordelais, cnt jugé utile de rééditer une étude de Victor DAVE, écrite en 1900 et réimprimée dans la "Revue Anarchiste" (numéros d'août et septembre 1923). Cet assez long écrit traite des rapports personnels de MARX et de BAKOUÎOTE et utilise les nombreux documents réunis par Lîax NETTLAIJ dans sa biographie de BAKOUïïOE. En 1900 cette biographie, écrite en allemand, comprenait trois gros volumes autocopiés. Un exemplaire figurait à la Bibliothèque Nationale et en 1970 l'ensemble n'a encore trouvé ni traducteur, ni éditeur.

On no manquera pas de critiquer l'initiative des camarades de Bordeaux. Encore de l'histoire l dira-t-on. Assez d'archives poussiéreuses, assez parlé de3 "grands ancêtres" ! Place à la jeunesse et à l'action ! Certes, on ne vit pas avec le passé, l'histoire n'est pas un guide infaillible, mais elle permet souvent de comprendre le présent et de retrouver dans certains débats l'écho de discussions anciennes : «n s'aperçoit alors q e bien des questions actuelles trouvent leurs réponses dans ce passé méprisé...

On nous objectera aussi le caractère bien limité de l'étude de HAVE : il s'agit des rapports personnels entre MARX et BAKOUNBIE et non d'une confrontation du marxisme et du bakouninisme, du communisme autoritaire et du collectivisme libertaire. Est-ce à dire que le sujet est sans intérêt, qu'il appartient à la "petite histoire" et qu'il n'apporte aucune lumière nouvelle sur le débat jamais clos de l'anarchisme et du marxisme-léninisme ? Ce n'est pas l'avis de nos camarades et je vais dire pourquoi.

«

Quand en étudie les conceptions politiques ou sociales d'un individu, qu'il soit philosophe authentique, fondateur d'une doctrine, ou simple militant, on ne peut faire abstraction de son caractère, de son comportement dans la société, de ses amitiés et de ses haines. Je me méfie d'une idée soi-disant généreuse quand elle défendue par un politicien sans scrupules. Je pense que le3 prophètes d'un monde meilleur doivent les" mains propres. Mais par dessus tout, je juge exécrable la formule tant de fois invoquée : "La fin justifie les moyens." Peur faire triompher une idée, pour vaincre un adversaire, peur transformer l'ordre social, le choix des moyens est essentiel. Mais ce choix ne dépend pas seulement de "l'efficacité". Les moyens utilisés ne doivent pas être en contradiction avec les fins recherchées. On ne fonde pas la liberté sur la dictature, la vérité sur le mensonge ; on n'établira pas une société de justice et d'harmenie par la pratique systématique de la calomnie, de la dénonciation, de la violence aveugle et de l'assassinat politique. Aucun anarchiste ne peut penser que le mépris de la personne humaine, la négation de l'amitié et de la camaraderie, puissent conduire à une morale plus élevée et à une société meilleure !

Or, depuis plU3 d'un demi-siècle, le bolche-visme a introduit dans la vie politique et dans la vie des Etats soumis à son emprise, de singulières moeurs. Passons sur la liquidation massive de toutes les autres tendances du mouvement ouvrier, sur l'anéantissement des anarchistes, des socialistes-révolutionnaires, des paysans de l'Ukraine et des ouvriers de Cronstadt... tëais pourquoi faut-il qu'après avoir tué, le bolchevisme s'efforce de déshonorer les victimes, en les qualifiant d'agents de la bourgeoisie, de trai-tres vendus à l'impérialisme, de gardes blancs, ou de chiens sanglants du fascisme ? Cette tactique fondée sur la calomnie est encore plus ignoble lorsqu'elle s'exerce entre camarades unis de longue date par des luttes communes. On sait comment les procès de Moscou ont liquidé "physiquement" les vieux camarades de la vieille garde bolcheviste, après les avoir liquidés "moralement". Tous ces "révolutionnaires" ont avoué qu'ils étaient vendus à la bourgeoisie internationale ou à l'Intelligence-Service ! A croire que le sommet du glorieux parti léniniste n'était composé que de crapules avérées...

Tout anarchiste et je dirai même : tout être humain digne de ce nom, condamne de telles pratiques et il faut que, par le monde, les adhérents des partis communistes soient bien corrompus ou bien imbéciles pour ne pas clamer leur indignation.

On évoque souvent à propos du bolchevisme les enseignements de ÎIERCHAIKV et les articles de son exécrable "Catéchisme révolutionnaire" : non à tort, puisque durant les années vingt des historiens officiels de l'U.R.S.S. ont salué en NETCHAÏEV un précurseur de LENINE. Hais ne pourrait-on aussi faire une petite place à I-3ARX, le Saint Prophète, le grand Ancêtre ? A une vaste intelligence, à une volonté tenace, à une grande puissance de travail, I-IARX alliait malheureusement un orgueil démesuré, la certitude d'avoir raison, un esprit dogmatique et autoritaire qui lui faisait voir dans tout contradicteur un ennemi à abattre.

MARX distinguait deux sortes d'adversaires : d'une part les ouvriers rebelles ou hostiles à sa doctrine, d'autre part les philosophes, écrivains, penseurs ou militants déjà connus, et même -quelle blessure d'amour-propre pour MARX !- plus célèbres que lui. Oh ! le prolétariat était bien, en théorie, la classe élue, celle qui portait tous les espoirs de la théorie marxiste, mais que les prolétaires étaient bêtes !! C'est dans la correspondance volumineuse entre I*L*RX et son alter ego ENGELS que s'exprime en toute liberté le mépris des deux compères pour les ouvriers coupables de

lèse-marxisme. Lorsqu'on 164-6 MARX et ENGELS combattirent l'influence de WEITLIiïG au sein de la Ligue des Justes, à Londres et à Paris, leur correspondance est pleine d'injures à l'égard des adhérents de la Ligue qui ne croyaient pas à "l'infamie de WEITLING" : ce sont des drôles, des ânes, de jeunes idiots ; leur abrutissement et leur jalousie mesquine sont répugnantes... etc.,. Et les ouvriers parisiens ! La légende a seulement retenu les éloges de la Commune figurant dans "La guerre civile en France". Elle passe sous silence le mépris de MARX pour ces ouvriers "infectés de proudhonisme", puis de bakouninisme. Ils sont, écrit-il à IOJÏELMANN le 9 octobre 1866 : "ignorants, prétentieux, discoureurs, phraseurs, bouffis d'orgueil." Ce sont des "crapauds" qui se vautrent dans le "vieux fumier" (c'est-à-dire le proudhonisme qui, mêlé au stir-nerisme, a formé -selon l'effarante mythologie marxiste- le bakcuninisme !). Sans doute MARX fera-t-il 1 ' éloge de ces crapauds qui combattirent héroïquement dans Paris Insurgé. Mais les émigrés, les rescapés qui sont loin d'être marxistes, lie sont plus qu'une "poignée de vcyous" (lettre de MARX à BOLTE - 23 novembre 1871).

Mais tous ces gens ne sont que menu fretin..« Ce que veut surtout MARX, c'est écraser "la concuav rence" : les STIRNER, PROUDHON, BAKOUNINE pour ne citer que les plus grands rivaux. L'arsenal de MARX est bien fourni : la polémique écrite parsemée d'injures, les insinuations, les bruits qu'on répand, les accusations d'abord vagues puis véhémentes. Et, pour couronner le tout, pour déshonorer l'adversaire, on le démasquera comme escroc et agent provocateur. Des exemples ? En voici quelques-uns en vrac, car les citer tous ferait de cette introduction un véritable livre "à la gloire de MARX". Quelle bonne affaire pour MARX quand l'adversaire n'est pas Docteur ou ne jongle pas avec la dialectique hégélienne ! Il devient un imbécile, un pauvre d'esprit, un ignorant. A ces épithètes, MARX aime joindre des allusions personnelles et d'un goût plus que douteux. STIRNER sera à la fois Sanchc Pança et le mari de "la couturière" (allusion fort spirituelle au métier de l'épouse de STIRNER). WEITLING, ce tailleur autodidacte, est accusé sans preuve d'avoir fait rédiger s.n livre "Les garanties de l'harmonie et de la liberté" par un autre. MARX dénoncera partout son "infamie" et WEITLHIG, découragé et écoeuré, émi-grera en ibérique. Et ENGELS se félicitera d'avoir à Paris liquidé la section de la Ligue des Justes : cette "petite clique de tailleurs".

PROUDHOII et MARX ! On 3onge aussitôt à la polémique "Philosophie de la misère et "Misère de la philosophie". Cette polémique suivit des relations d'abord amicales entre les deux hommes, puis une rupture, lorsque PROUDHON refusa de collaborer plus étroitement avec MARX dont il condamnait le dogmatisme et le sectarisme. Mais la préface de la "Misère de la philosophie" mérite une lecture attentive ! Il est question de "cette science d'autodidacte rebutante à force de gaucherie"... "de ce parvenu de la science qui se rengorge de ce qu'il n'est pas et de ce qu'il n'a pas"... "de ce ton de charlatan, de crâneur et d'encenseur de soi-même"... "de ce pénible rabâchage et de cet étalage pompeux de science"... etc... doublions pas, en effet, que le Docteur MABX possède seul la Science et est l'inventeur génial du Socialisme Scientifique (se méfier des contrefaçons !). »

Et Ferdinand LAS3ALLE ? Il est passé dans l'histoire du socialisme comme un brillant météore. Lorsqu'il fut tué en duel en 1864 à l'âge de trente-neuf ans, il laissait le souvenir d'un homme séduisant, éloquent, réunissant en lui les qualités de l'avocat, du tribun, de l'écrivain. Il avait été l'avocat passionné de la comtesse ÏÏUTZFELD dans son procès de divorce, procès qui était apparu comme un conflit entre le libéralisme et la réaction. LAS3ALLE, mêlé aux

événements révolutionnaires de 1846, avait été condamné à six mois de prison. Il avait ensuite aidé MARK financièrement et lui écrivait : "Tu n as pas en Allemagne d'autre ami que mci !" Une correspondance amicale s'établit entre MARX et LASSALLE, entre Londres et Dusseldorf. Brusquement en 1856, MARX qui voyait d'un mauvais oeil 1'ascension de LASSALLE dans les milieux socialistes, eut vent d'un racontar sans preuve : LASSALLE ne serait qu'un pantin aux mains de la Comtesse HATZFELD et son socialisme ne serait qu'une basse foime de l'arrivisme. Et voilà le tandem MARX-ENGELS déchaîné : leur correspondance privée ne contient plus à l'égard de l'ami LASSALLE que les plus basses injures : youpin, ce Juif des frontières slaves prêt à exploiter quiconque peur ses desseins personnels, ce Juif crasseux de Breslau enduit de pommade et de cosmétique, ce Juif minable, ce drôle orgueilleux, etc... Je ne fais qie traduire une partie des grossièretés que nos deux grands hommes déversaient sur LASSALLE : en même temps, MARX continuait à correspondre avec le'feale ycupin" et le félicitait pour son étude sur le philosophe HERACLITE, étude dont il écrivait à ENGELS que c'était "un inepte fatras" ! En 1858, grâce aux efforts de LASSALLE, KARX put trouver un éditeur pour sa "Critique de l'économie politique". Le livre ne parut qu'en juin 1859. MARX rendit LASSALLE "responsable" de ce retard : ce chien, co veau, écrit-il à ENGELS ! Les années passent : LASSALLE continue à rendre à iiARX dos services amicaux, mais fonde un mouvement ouvrier éloigné du marxisme. Et MARX dépasse toute mesure dans sa correspondance. L.'.SSALLE est un spéculateur, un don Juan, un syphilitique, un juif nègre, sa mère ou sa grand-mère ont sans doute couché avec un nègre. 1863 ! "L'Union générale des travailleurs allemands", qu'anime LASSALLE, prend de l'extension. LASSALLE va de ville en ville, de succès en succès. Et la correspondance de MARX s'enrichit de nouvelles grossièretés... La mort brutale de LASS.XLE en 1864 délivra MARX d'un dangereux rival, mais c'est bien tard qu'ENGELS reconnaissait la valeur de LASSALLE en écrivant à MARX : "C'était le seul homme en Allemagne dont le patronat aveit peur."

Et Gcttfried KIHKEL ? Un petit poèto, un des derniers combattants de 1843, condamné pour ce fait à la détention perpétuelle. L'énormité de la sentence souleva en Allemagne un mouvement général en faveur de KH3CEL, symbole de la liberté opprimée. MARX choisit ce moment -lui qui ne s ' était jamais battu ! - pour attaquer KlrlKEL dont le discours devant le Conseil de guerre contenait, parait-il, des termes empreints d'humilité ! L'émigration à Londres jugea sévèrement l'attitude de M1KX. Un coup de main audacieux permit l'évasion de KINKEL qui vint se fixer à Londres et continua à être l'objet des attaques de MARX. En 1859, KIKKEL et l'ami de MARX le poète FREILIGRATH, furent chargés, à Londres, de prendre la parole pour fêter le centenaire de SCHILLER. MJ*X eut la prétention d'interdire à ER3ILI-GRATH de paraître aux côtés de KINKEL. FREILIGRATH passa outre ; et voici comment MARX traite son ex-ami dans sa correspondance avec ENGELS (1859-1860) : "ce gros philistin, ce merdeux, cet ignoble drôle, ce salaud !!"

Et von WILLICH ? Il commandait l'armée révolutionnaire dans le duché de BADE et eut EÏÎG3LS comme lieutenant. Après la défaite, il alla à Londres, appartint à la "Ligue des Communistes" où il était plus aimé et plus écouté que MARX. Cette popularité porta vite ombrage au grand théoricien, qui dénonça dans la Ligue "des influences bourgeoises et démocratiques". WILLICH devint "un âne à quadruples cornes" et les amis de WILLICH "une bande de vauriens". D'ailleurs WILLICH était un officier ! Donc un type dans le genre de LARuYETTJ) et de NAPOLEON... MARX engagea contre WILLICH une guerre sournoise qui ne cessa pas lorsque WILLICH émigra en Anérique. En 1853 MARX fit même publier à Novj-Ycrk une brochure pour "démasquer" WILLICH, ce "petit grand homme". WILLICH devait devenir général de brigade dans la guerre de Sécession... mais les manoeuvres de i'JiRX avaient semé la discorde au sein de la "Ligue" à Londres.

Et Karl GRUÏÏ ? Lorsque, le 21 janvier 1843, la "Gazette Rhénane" fut suspendue, MARX en était depuis trois mois le rédacteur en chef. Cette suspension ne faisait pas état de MARX. Ce dernier eut l'idée, pour attirer l'attention sur sa personne, de rédiger un article où il déclarait que tout ce qui avait motivé l'interdiction était de sa plume et qu'il en prenait l'entière responsabilité. Karl GRtJN, rédacteur d'un journal du soir à Mannheim, accepta de signer la prose de MARX, rendant à ce dernier un signale service l Deux ans après, KARX et GRUïT se retrouvèrent à Paris. Lorsque GUIZOT prit un arrêté d'expulsion contre les étrangers collaborant au "Vorwarts" de Paris, la plupart firent appel et il était de tradition d'agir ainsi : on reculait ainsi les mesures d'expulsion qui souvent restaient sans effet. Ainsi agirent 1IEIIÎE et RUGS. KARX estima qu'il était plus digne de ne pas réclamer et cette attitude fut blâmée au sein de 11 émigration allemande et en particulier par GRtÎN. Dès lors, GHUîI devint un homme à abattre. Comme PROTJDHObï avait choisi GRUII pour traduire des textes allemands, MAKX écrivit à PROUDïIOiT pour le mettre en garde contre cet individu suspect. PROUDHON répondit sèchoment que "la considération qu'avaient pour GRtÎN tous les ouvriers allemands résidant à Paris était, pour lui, mie garantie suffisante". La liquida-tien do GRUÎT fut le résultat d'une machination fort astucieuse : de3 membres de la "Ligue des Justes" avaient en 1846 prêté de l'argent i.300 francs) h GRUIÏ, non adhérent à la Ligue. KARX et ENGELS crièrent à l'escroquerie, au vol pur et simple. Selon l'élégante formule de ENGELS : "GRUïï a conchié les travailleurs pour 300 F." On constitua à la Ligue un tribunal où ne comparut pas

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GRUN, puisqu'il n'était pas membre de la Ligue. Il y eut des discussions passionnées au bout desquelles la Ligue fut à Paris en complète décomposition. Qu'importe Les grunistes étaient battus et Karl GRUII à jamais suspect et déshonoré. MARX pouvait se réjouir...

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Et l'en pourrait allonger cette liste des amitiés foulées aux pieds, des amis insultes tu ai' raleraent liquidés. Il y a le cas de RU2E1ÏBERG, net hui du jeune MARX., premier rédacteur en chef de la "Calotte Ilnénane" et que MARX supplanta à la suite d^ mancf-iir^ ir. rtueu-ses. Il y a le cas de M<-ses ÏCSS qui., à i'rjùio'Lles, porta ombrage à MARX : faute de mieux, MARX ''l'accusa" de blennorragie chronique et colporta que sa f^x.ie était une vulgaire garce ! Et j'oubliais Arn<Id RUGE : fondateur des "Annales de Hesse" (interdites), des "Annales allemandes" (interdites), emprisonné six ans, fondateur avec MARX des "Annales francc-sllemandes" (Paris, février 1844). Après tous ces écho es. RUGE était ruiné, mais MARX espérait encore qr.e ï.UGE financerait d' autres numéros des "Annales franc.-;allemandes" désormais RTJGE devint un "libraire", un bourgeois", un "reptile". Peu importe ici ce que RUGE devint par la suite : dans les années 40, à l'époque du "Vorwarts" de Faris, les attaques de MARX étaient injustifiées, quand on songe aux sacrifices de toute nature consentis par RUGE.

Et le cas BAKOUÎTIITE, ,ii MARX 3'est surpassé dans la malhcrnêtote, n'est que le dernier maillon d'une chaîne de manoeuvres malpropres. L'étude de DAVE ne laisse rien dans l'ombre. On y retrouvera cette accu satien d'escroquerie déjà utilisée contre GRUH, et des hommes comme le réformiste SEPJfëîEIlî ou le marxiste orthodoxe HEKRKIG ent convenu que le bon droit et l'honnêteté étaient du coté de BAKOUNINE.

Pour MARX l'amitié, la reconnaissance, la camaraderie ne comptent pas. Ce qui importe c'est le triomphe des idées de MARX, la supériorité intellectuelle de MARX, la science de MARX. î-L'JrJC do son vivant a eu des suiveurs -qu'il méprisait !-, des sergents recruteurs, mais pas d'amis, car ZÊJGELS n'est qu'un double de MARX. Depuis sa mort il a eu des disciples, une descendance nombreuse et moralement peu reluisante.

De WRX à STALINE, à DUCLOS, à ULBRECHT : quelle chute î Reconnaissons que HARX était intelligent, qu'il avait un esprit puissant, mais qu'avec toutes ses qualités il était, commd on dit familièrement, un "beau salaud

Jean BARRUÉ

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MiCHLL bKKOUNl Wl:

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KARL TURX

En 1895, Michel IHAGOMANOW écrivait qu'il était regrettable que la vie et l'action de BAKOUNINE eussent jusqu'alors été si peu aises en lumière, bien que vingt ans se fussent déjà écoulés depuis sa mort et qu'il eût compté, au cours de sa retentissante carrière, de nombreux amis et partisans dans la plupart des pays de l'Europe. Cette lacune, nous sommes heureux de le dire, est sur le point d'être comblée. Depuis plusieurs années le docteur Max NETTLAU travaille, en effet, à doter l'histoire révolutiamaire de notre siècle d'une Biographie définitive 0) de Michel BAKOUNINE qui n'était connu jusqu'ici -du grand public du moins,- que par les notices incomplètes et généralement hostiles des dictionnaires biographiques eu encyclopédiques, et surtout

par la haine que lui ont vouée ses adversaires, par les calomnies sans nombre dont ils l'ont abreuvée durant 3a vie et dont ils poursuivent encore sa mémoire. Dans ces derniers temps toutefois, on a publié une partie de sa correspondance et H. MSTTLûU lui-même a édité quelques-uns de ses travaux théoriques ou polémiques.

Si BLKOTJKIilE a eu beaucoup d'ennemis qui ont usé, pour le combattre, d'armes trop souvent perfides et déloyales; il eut aussi„ dans tous les pays, un nombre considérable d'amis et d'admirateurs, dont beaucoup vivent encore et qui luttèrent avec lui, sous son inspiration directe, pour 1:affranchissement politique et social de l'humanité. Ceux-ci apprendront avec plaisir qu'un anarchiste, érudit et dévoué, que des circonstances exceptionnellement favorables ont mis à même de recueillir les documents les plus épars sur Ta vie et l'oeuvre du grand révolutionnaire russe, ait entrepris de faire ce travail et de le faire d'une façon complète, digne à la fois de l'homme dont il s'agissait de retracer la carrière tourmentée et de la tâche grandiose à laquelle il consacra sa vie. Car il ne fout pas oublier qu'il fut le véritable fondateur du mouvement anarchiste en Europe et que tous cou:, qui. aujourd'hui, se réclament des idées et des théories libertaires, dans tous les domaines do la pensée, procèdent directement de lui. En parlant ainsi, je n'oublie pas que THOttPSCÏÏ, GGDWIiî, \OREiF; PRCUDHOï;, GRUÎf, STIPULER, vingt autres ont apporté à la constitution théorique des doctrines libertaires les fruits de leurs fécondes méditations et que B2K0Uï<I*JE ne doit pas être considéré comme un penseur solitaire, arrivant de lui-même et par l'effort propre de son intelligence à cré^r toute une nouvelle conception du monde et de la société ; ce que je veux dire cependant, c'est qu'il a eu sur la diffusion des doctrines libertaires dans l'Europe entièi'e une influence tellement considérable, due surtout à 3cn infatigable esprit de propagande, à son énergie indomptable et, il faut l'ajouter aussi, à ses qualités personnelles d'homme et d'ami, qu'on doit en toute justice le considérer comme un véritable initiateur. Et par une conséquence logique de sa pensée, en luttant pour l'affranchissement des masses dans l'Europe occidentale, avant et pendant la période d'efflorescence de 11 Association internationale des travailleurs, il combattait également pour la libération des Slaves, parce qu'il était convaincu, contrairement à Karl MARX, que dans leur émancipation seule, et ncn dana la continuaticn et le maintien de leur oppression, résidait le gage le plus assuré de la liberté en Europe. Je dis contrairement à Karl MARX s on sait en effet que celui-ci, dans son chauvinisme borné, n'a cessé de voir dans le Slave "l'ennemi héréditaire" qu'il fallait à tout prix annihiler et détruire» C'est dans cet antagonisme aussi qu'il y a lieu de chercher, je crois, l'rrigine et la cause principale de l'hostilité qui a toujours existé entre les deux révolutionnaires.

On croit généralement que MARX et BAKOTJMNE ne devinrent des ennemis que depuis l'entrée de ce dernier à la section centrale de Genève de l'Association internationale des travailleurs, au mois de juillet 1868. C'est là une erreur ; MARX n'a pas cessé un instant de combattre, de calomnier surtout, BAKOUÎTINE depuis l'apparition de celui-ci sur la scène politique européenne, avant même sa participation aux révolutions allemandes de 1848 et 1849. Il a employé, pour annihiler son influence sans cesse grandissante, tous les moyens que pouvait inventer tour à tour son esprit astucieux, médian t et perfide, depuis le simple mensonge et la diffamation en apparence anodine jusqu'aux accusations les plus éhon-tées, les plus iniques et les plus rév:ltantes. Karl KARX a montré là, ccmme ailleurs du reste, qu'il avait bien suivi les leçons de ce David URQUHARD, qui fut s:n inspirateur et son conseiller en politique, de ce diplomate marron, rusé et fourbe, prétentieux et arrogant, rempli de morgue, de fiel et de mauvaise foi, prétendant à l'infaillibilité et affilié, a-t-on dit, à l'ordre des Jésuites (1).

Je n'ai pas l'intention de rendre compte aujourd'hui du travail considérable, et inachevé du reste, du Dr NETTLAU ; je me propose seulement de montrer, grâce aux documents recueillis par lui, que I-IARX n'a cessé de calomnier BAKOUNIÎIE et que, dans la guerre acharnée qu'il a faite au révolutionnaire russe, il n'a jamais été de bonne foi.

I

BAKOUNINE avait déjà séjourné plusieurs années à l'étranger, en Allemagne, en Suisse, en Belgique, refusant d'obtempérer aux sommations réitérées du gouvernement russe d'avoir à rentrer dans son pays (2), lorsqu'il

résolut de se fixer à Paris. Il y arriva dans le courant de juillet 1844 et y resta jusqu'au mois de décembre 1847. C'était l'époque cù la bourgeoisie paraissait être arrivée au faite de sa puissance, où l'ordre et la tranquillité régnaient partout, où les partis d'opposition même semblaient affaiblis et épuisés.

"Les républicains continuaient bien leurs conspirations, dit BAKOUNINE dans un manuscrit inédit datant de 1871 (1), mais en eût dit qu'ils ne conspiraient plus que pour leur propre plaisir, tant leurs conspirations paraissaient innocentes. La police de M. DUCHATEL, loin de les craindre, semblait les protéger et au besoin même les provoquer.

"Ce fut l'époque de la première apparition des livres et des idées de FROUDIION qui contenaient en germe, j'en demande bien pardon à H. Louis BLANC, son trop faible rival, ainsi qu'à M. KARX, son antagoniste jaloux, toute la révolution sociale, y compris surtout la Commune socialiste, destructive de l'Etat. Mais ils restèrent ignorés de la majorité des lecteurs. Les journaux radicaux de cette époque, le "National" et même la "Réforme", qui se disait démocrate socialiste, mais qui l'était à la manière de M. Louis BLANC, se gardèrent bien d'en dire un met, soit de louange, soit même de blâme. Il y eut contre PRCUDHON, de la part des représentants officieux du républicanisme, comme une conspiration du silence.

"Ce fut aussi l'époque des leçons éloquentes mais stériles de KM. MICIIELET et QUINET au Collège de France, dernière efflorescence d'un idéalisme sans doute plein d'aspirations généreuses, mais désormais condamné pour raison d'impuissance. Ils essayèrent un non-sens, prétendant établir la liberté, l'égalité et

la fraternité des hommes sur les bases de la propriété, de l'Etat et du culte divin ; Dieu, la propriété et l'Etat nous sent restés, mais en fait de liberté, d'égalité et de fraternité» nous n'avons que celles que nous donnent aujourd'hui Berlin, Saint-Pétersbourg et Versailles.

"D'ailleurs, toutes ces théories n'occupèrent qu'une très infime minorité de la France. L'immense majorité des lecteurs ne s'en embarrassait guère, se contentant des romans sans fin d'Eugène SUE et d'Alexandre DUEAS qui remplissaient le3 feuilletons des grands journaux : le "Constitutionnel", les "Débats" et la "Presse".

"Ce fut l'époque surtout où fut inauguré, sur une échelle très l^rge, le commerce des consciences. Louis-Philippe, DUCHATEL et GUIZOT achetèrent et payèrent le libéralisme légal et conservateur de la France, comme plus tard, le comte de Cavcur acheta et paya l'unité italienne ; ce que l'on appelait alors le pays légal en France, offrait en effet une ressemblance remarquable avec ce qui, en Italie aujourd'hui, s'appelle la "ccnsor-teria". C'est un ramassis de gens intéressés qui se sont vendus ou qui ne demandent pas mieux que de se vendre et qui ont transformé leur parlement national en une bourse, où ils vendent journellement leur pays en gros et en détail.

"Le patriotisme se manifeste alcrs par des transactions commerciales, naturellement fatales au pays, mais très avantageuses pour les individus qui sont en état d'exercer ce commerce. Cela simplifie beaucoup la science politique, l'habileté gouvernementale se réduisant désormais à savoir choisir, parmi cette foule de consciences qui se présentent au marché, précisément celles dont l'acquisition est la plus profitable. On sait que Louis-Philippe usa largement de cet excellent moyen de gouvernement. "

Il est vrai cependant qu'en dehors de cette bourgeoisie replète et jouisseuse, il y avait les sai.nt-simoniens, les fouriéristes, les positivistes ; FECQUEUE et VIDAL ; VILLEGARDSÏT3, Flora TRISTAïl et TïiORÈ ; George oAIID et Pierre LEROUX ; BUCHEZ et les démocrates mystiques ; BLAIïQUI, BARBES et RASPAIL ; la "Réforme" ; les communistes et les babouvistes autoritaires ; CABEî et EEZAMï et un grand nombre d'autres représentants, plus ou moins autorisés, des diverses écoles ou tendances révolutionnaires.

C'est dans ce milieu qu'apparat BÎK0U1OTE, qui s'était déjà trouvé en rapport, en Russie, avec les groupes Des plus avancés, en Allemagne, avec les adeptes du radicalisme philosophique, en Suisse, avec Weit-ling et les communistes et qui était de même entré déjà en relations avec les membres influents de l'émigration polonaise. Partout, il était aimé et estimé ; tous ceux qui l'approchaient subissaient l'ascendant, le charme magnétique de sa puissante nature. Il était de ceux à qui l'on se donne et pour qui l'on se dévoue.

Après l'interdiction des "Annales" d'Arnold RUGE à Dresde, et de la "Gazette Rhénane" de Karl MARX à Cologne. les deux écrivains allemands fondèrent à Paris, en 1844, les "Annales franco-allemandes" (l), revue à laquelle collabora BAKOUITINE, puis, après la disparition de celle-ci, Henri BORNSTEIN publia un journal hebdomadaire, "Vcrwaerts", autour duquel il groupa A. RUGE, Karl MARX, le poète HERWEGH, Michel BAK0U1IIFE, WEERTH, G. WEBER, le Dr EVERBECK, J. BURGSRS, Frédéric ENGELS (2).

(1) DEUTSCH-FRAI'JZOSISCHE JAHRBUCHER, herausgegeben von Arnold RUGE imd Karl MARX, Paris, rue Vanneau, 22. 1844. Imprimerie WORKS et Cie, boulevard Pigalle, 46.

(2) H. BCP.N3TEIÏÏ, Funf und siobzig Jahre, I, 338, -NETTLAU, I, 64.

A ce moment-là déjà, MARX qui s'était brouillé avec RUGE (1) et le criblait maintenant d'invectives et d'injures, commença à faire à Michel BAKOUNINE une guerre sourde, à couj/S de petits papiers, de billets '.ompromettants venus on ne sait d'où et destinés à tuer plus sûrement que les polémiques les plus vives et les plus retentissantes. Une occasion unique allait bientôt s'offrir à ce maître calomniateur d'empoisonner à toujours la vie de cet honnête homme qui donna de sa loyauté politique, de sa sincérité révolutionnaire, des gages pour le moins aussi sûrs, et plus éclatants certes, que Karl MARX n'en donna jamais de la sienne.

Au commencement de 1845, alors que MARX était-dé jà occupé secrètement à distiller son venin contre BAKOUNINE, l'empereur de Russie, sur la proposition du Sénat dirigeant, rendit un ukase portant que "attendu que les nobles GOLOVIIÎE et BAKOUNINE ont publié en France des écrits révolutiennaires contre le gouvernement russe et que malgré les sommations réitérées à eux faites, ils ne sont pas revenus dans leur patrie, ils sont déclarés déchus de tous leurs droits civiques et nobiliaires, que tous les biens immeubles qu'ils possédaient dans

l'Empire, ser( nt confisqués au profit de l'Etat et que si jamais on les retrouve sur le territoire russe, ils seront transportés en Sibérie pour y demeurer exilés tout le reste de leurs jours.", (l) Dans une lettre du 27 janvier 1845, adressée à la "Réforme", BAKOUNINE s'exprime ainsi au sujet de cet ukase :

"Ma position personnelle est très simple* Lors de mon séjour en Allemagne et en Suisse je fus dénoncé auprès du gouvernement russe, comme ami intime de quelques publicistes allemands appartenant au parti radical, comme auteur de quelques articles de journaux (2) et surtout comme partisan de cette nationalité polonaise, si ncble et si malheureuse, et comme ennemi déclaré de l'rdieuse oppression dont elle continue d'être la victime, toutes choses fort peu criminelles sans doute, mais bien suffisantes néanmoins, pour mettre en émoi un gouvernement aussi jaloux de l'amour et du respect de ses sujets que le n^tre. Aussi, me signifia-t-il bientôt l'erdre de me rendre à Saint-Pétersbcurg, en me menaçant, en cas de désobéissance, de toute la sévérité des lois. Je savais ce qui m'attendait à mon retour ; de plus, préférant l'air plus libre de l'Europe occidentale à 1'atmosphère étouffante de la Russie, j'avais depuis longtemps déjà la ferme intention de m'expatrier. Je répondis donc par un refus net, dont je prévoyais dès

lors toutes les conséquences : je n'ignorais pas que, confcrmément aux lois qui gouvernent mon pays, je commettais, en désobéissant au gouvernement, presqu'un crime de lèse-majesté ; j'aurais donc bien mauvaise grâce de me plaindre maintenant d'un ukase qui vient, dit-on, de me priver de mcn titre de noblesse et de m'exiler en Sibérie, d'autant plus que, de ces deux punitions, jo regarde la première comme un véritable bienfait, et la seconde, ccmme une raisen de plus de me féliciter d'être en France.

BAKOUNINE n'eut pas à se féliciter longtemps do la chance heureuse qui lui permettait de vivre à Paris ; le gouvernement russe allait bientôt intimer à la France l'ordre de le persécuter à son tour. Il le fit à 1'occasion du discours, resté célèbre, qu'il prononça à la grande assemblée des Polonais, rue ^aint-Honoré n° 352, le 29 novembre 1847. Dans une lettre inédite qu'il écrivit plus tard (1) à ce sujet, il s'exprima ainsi :

"-.u mois de novembre 1847, les émigrés polcnais résidant à Paris, s'étaient réunis selon l'habitude, pour célébrer l'anniversaire do leur révolution. J'étais déjà émigré, et faisant ma première apparition en public, je profitai de cette occasion peur prononcer un discours dans le but do leur démontrer cette vérité, pour mei plus que jamais incontestable, qu'entre les intérêts de l'empire dos czars et ceux des populations russes et non russes qui y sont enfermées, il y a une contradiction absolue, que la puissance des czars est en rapport inverse avec leur liberté, leur propriété, leur bien-être et que par conséquent le triomphe de la révolution polonaise, précisément parce qu'il porterait un ccup mortel à cet emx>ire, serait un bonheur pour ces peuples. Partant de cette conviction, au nom de la démocratie russe, j'offris aux Polonais une alliance révolutionnaire.

Mon sujet m'ayant naturellement amené à parler de l'empereur Nicolas, dont la main de fer pesait également sur nous tous, je le maltraitai quelque peu, ou plutôt je le traitai selon son mérite en l'appelant le bourreau d'une immense quantité de victimes. Je ne m'imaginais pas alors que l'empereur Nicolas pût être dépassé dans cette voie de sang et de boue. Alexandre II, son successeur et son fils, s'est chargé de nous en démontrer la possibilité, car durant les cinq dernières années de son règne, de 1862 à 1867, il a fait piller, emprisonner, déporter, torturer et massacrer dix fois plus d'innocentes et nobles victimes polonaises et russes, hommes, femmes, enfants et vieillards, que son terrible père, justement renommé pour sa cruauté, ne l'avait fait pendant son règne qui a duré plus de trente ans... A l'époque où je prononçai mon premier 3peech, la France semblait marcher en pleine réaction. M. GUIZOT et M. le comte DUCHATEL étaient ministres, l'un des affaires étrangères, l'autre de l'intérieur. Issu d'une révolution, Louis-Philippe, par un système de corruption savamment combiné et habilement appliqué pendant dix-sept ans, était enfin parvenu à démoraliser si complètement l'immense majorité des 300 000 électeurs qui constituaient alors ce qu'on appelait le pays légal, que les Chambres, devenues esclaves du pouvoir, comme elles le sont encore aujourd'hui, votaient en aveugles tout ce que leur demandaient les ministres. Appuyé sur cette majorité corrompue, le gouvernement croyait pouvoir impunément se moquer des besoins, des souffrances et du mécontentement unanime d'un peuple de trente millions d'hommes, privé de droits politiques, et on le voyait prendre déjà, à l'intérieur de la France, toutes les allures d'un gouvernement despotique. A l'extérieur, M. GUIZOT, tout fier d'avoir conclu le mariage espagnol, par lequel il croyait être rentré dans les vieilles traditions de la grande politique française et avoir rattaché le règne de Louis-Philippe à celui de Louis XIV. - H. GUIZOT, dis-je, avait rompu l'alliance anglaise, que l'opinion publique

avait considéré corne la condition d'une politique libérale, et faisait tous les efforts possibles pour se concilier les bonnes grâces des trois cours despotiques du Nord. C'était l'époque de la guerre des cantons radicaux de la Suisse contre le Sunderbund et dos premiers symptômes de la résurrection italienne. La diplomatie de la Sainte Alliance profitant dos dispositions serviles du ministère français, avait conclu avec lui un pacte secret contre la liberté de l'Europe."

Parlant au nom de la partie la plus éclairée du peuple russe, BAKOUNINE s'adressa à ses frères de Pologne coone autrefois, en 1824, les nobles martyrs décabris tes l'avaient fait, dans le but de combattre ensemble le despotisme et la tyrannie et de rendre la liberté et l'indépendance à soixante millions d'hommes courbés sou3 une main de fer, et il termina sa harangue enflammée par ces mots : "La réconciliation de la Russie et de la Pologne est une oeuvre immense et bien digne qu'en s'y dévoue tout entier. C'est 1'émancipation de soixante millions d'habitants, c'est la délivrance de tous les peuples slaves qui gémissent sous un joug étranger, c'est enfin la chute, la chute définitive du despotisme en Europe. Qu'il vienne donc ce grand jour de réconciliation, -le jour où les Russes, unis à vous par les mêmes sentiments, combattant pour la mène cause et contre un ennemi commun, auront le droit d'entonner avec vous votre air national polonais, cet hymne de la liberté slave :

"JESZEZE POLSKA NIE ZGINSLA ! "

Ce discours, publié le 5 décembre 1847, eut un immense retentissement. Le conseil des Ministres, sur la demande formelle de la légation russe, décréta l'expulsion de BAKOUNINE. Celui-ci voulut connaître les motifs de cette mesure de proscription : on ne répondit pas à ses lettres. Hippolyte VAVIN, de son côté, adressa une

épître violente à M. GUIZOT, annonçant non intention de l'interpeller et déclarant qu'il ne cesserait de réclamer l'abrogation de cettc loi des suspects, triste héritage du Directoire. A la Chambre dos Pairs, le 10 janvier 1848, le Comte d'Alton Shee posa au ministère la question de savoir s'il avait cédé aux exigences de la légation russe ou à un mouvement de servilité spontanée, s'il y avait eu, de la part du président du conseil, obéissance ou galanterie (1). Le 4 février suivant, lors de la discussion de l'interpellation d'Hippolyte VAVI1T et de Ferdinand de LASTEYRIE, M. GUIZOT, président du conseil, cita cotte phrase du discours de BAKOUT-JIIÎE : "On voudrait, Messieurs, que vous appelassiez l'empereur Nicolas votre frère, lui l'oppresseur, l'ennemi le plus acharné, 1'ennemi personnel de la Pologne, le bourreau de tant de victimes, celui qui vous poursuit avec une infernale persévérance, autant par haine que par politique," et prétendit que ce passage et d'autres semblables avaient motivé l'expulsion de leur auteur, tandis que M. DUCHATEL, ministre de l'intérieur, parla du révolutionnaire russe en des termes équivoques et méprisants. Lorsqu'on lui fit remarquer la contradiction évidente qui existait dans les deux discours ministériels, il se borna à 'répondre par ces mots tout aussi insultants pour BAKOUNINE : "Quant au fait de l'expulsion, le gouvernement a eu des motifs très sérieux de la prononcer, et je ne puis ni ne dois rendre compte de ces motifs." BAKOUNINE écrivit aussitôt de Bruxelles (2) ofc il s'était réfugié, sa lettre à M. le Comte DUCHATEL, dans laquelle il se plaignit, non de la mesure prise contre lui et qu'il trouvait naturelle, mais des réticences du ministre de l'intérieur dans sa réponse

(1) D'ALTON SHEE, Souvenirs de 1847-48, I, 95. -NETTLAU, I, 77.

(2) Lettre du 7 février 1848. NETTLAU, I, 78

aux intorpellateurs. Il lui portait le défi public de donner, de son expulsion, une seule raison qui ne fut pas honorable. Le ministre, selon son habitude, ne répondit pas et quinze jours après, la Révolution le balaya, lui et les autres, du pouvoir.

Qu'y avait-il sous les réticences du ministre ? tout simplement ceci : le gouvernement ayant demandé des informations sur le compte de BAKOUNINE, M. KISSE-LEFF, représentant do la Russie à Paris, avait répondu : "C'est un homme qui ne manque pas de talent, nous l'avons employé, nais aujourd'hui, il est allé trop loin et nous ne pouvons plus souffrir sa présence à Paris." Le noue KISSELEFF avait du reste essayé de répandre aussi dans 1'émigration polonaise le bruit que BAKOUNINE n'était ni plus ni moins qu'un agent russe (1). Or, qui était ce HSS3LEFF ? Un ani intime de la famille von WESTPHALEN, - et Jenny von WESTPHALEN avait épousé Karl HARX !

II

BAKOUNINE ne resta qu'un mois à Bruxelles d'où il écrivit à HERWEGH et à ANENKOW que MARX, ENGELS et BORNST.JDT, qui l'avaient précédé en Belgique, s'y livraient à leurs intrigues habituelles, que dans ce milieu de mensonge et de sottise, il n'était pas possible de respirer librement, qu'il se tenait tout à fait à distance et qu'à aucun prix il no voulait se faire inscrire à la Société des Communistes (2) où ces démocrates bourgeois allemands tenaient leurs conciliabules et tramaient leurs petits complots contre tous ceux qui leur déplaisaient. BAKOUNINE était naturellement le point de mire de leurs attaques les plus perfides.

(1) Cf NETTLAU, I, 77

(2) NETTLAU, I, 183.

A l'annonce de la Révolution de Février, il s'empressa de retourner à Paris et s'en fut tout droit parmi les montagnards de CAUSSIDIERE, au faubourg Saint-Antoine. Mais dès le commencement d'avril, complètement désillusionné, ainsi qu'il le disait à de FLOTTE, à FLOCON, à ARAGO, il partit pour Breslau, voulant être à proximité de la Russie, mais s'arrêta en route à Strasbourg, à Francfort, à Cologne, à Berlin et à Leipzig.

Comme nous n'écrivons pas la vie de BAKOUNINE, nous ne faisons que mentionner, sans nous y arrêter autrement, ces diverses et importantes étapes de son voyage. Nous devons dire cependant qu'à Cologne, il se sépara complètement de MARX, à l'occasion d'une querelle que celui-ci eut avec le poète révolutionnaire HERWEGH. Dans un manuscrit inédit (1), il dit à ce sujet ;

"En 1848, nous nous sommes trouvés divisés d'opinion. Et je dois dire que la raison se trouvait beaucoup plus de son côté que du mien. Il venait de fonder une section de communistes allemands, tant à Bruxelles qu'à Paris, et allié ayec les communistes français et quelques communistes anglais, il avait formé, soutenu par son ami et son compagnon inséparable ENGELS, une première association internationale de communistes de différents pays à Londres. Là, il rédigea, ensemble avec ENGELS, au nom de cette association, un écrit excessivement remarquable, connu sous le nom de Manifeste Communiste. Moi, emporté par l'ivresse du mouvement révolutionnaire en Europe, j'étais beaucoup plus occupé du côté négatif que du côté positif de cette révolution, c'est-à-dire beaucoup plus du renversement de ce qui était que de l'édification et de

l'organisation de ce qui devait être. Pourtant, il y eut un point où j'eus raison contre lui. Comme Slave, je voulais 1'émancipation de la race slave du joug des Allemands par la révolution, c'est-à-dire par la destruction des Eàapires russe, autrichien, prussien et turc, et par la réorganisation du peuple, de bas en haut, par leur propre liberté, sur la base d'une complète égalité économique et sociale, et non par la force d'une autorité, si révolutionnaire qu'elle se dise et si intelligente qu'elle soit en effet. - Déjà alors, la différence des systèmes qui nous séparent aujourd'hui, d'une manière tout à fait réfléchie de ma part, s'était dessinée. Mes idées et mes aspirations devaient déplaire beaucoup à MARX, d'abord parce que ce n'étaient pas les siennes, ensuite parce que, comme patriote allemand, il n'admettait pas alors, comme il n'admet pas encore à présent, le droit des Slaves de s'émanciper du joug des Allemands, pensant aujourd'hui comme alors que les Allemands sont appelés à les "civiliser", c'est-à-dire à les germaniser de gré ou de force."

Nous retrouvons ensuite BAKOUNINE à Breslau, où il séjourna plus longtemps, prenant une part active, quoique non ouvertement, aux travaux de la Société démocratique et à ceux du Convent polonais-slave qui se tint dans cette ville. C'est ici aussi qu'à son retour du célèbre Congrès slave de Prague une nouvelle calomnie de MARX vint l'atteindre.

"En 1848, dit-il dans un autre manuscrit (1), au premier Congrès des peuples slaves à Prague, Congrès qui, soit dit par parenthèses, avait été réuni par le comte THUN, TALACKI et RIEGER dans une pensée réactionnaire, celle de former sous le sceptre des HABSBOURG un puissant Etat tchèque, oppressif à son tour et centre de la

nouvelle monarchie autrichienne, mais qui, sous nos efforts réunis, grâce surtout aux dispositions uout à fait révolutionnaires du peuple et de la jeunesse de Prague, avait pris une tendance diamétralement opposée, ce qui le fit bombarder et dissoudre par les troupes autrichiennes. - dans ce Congrès, j'ai combattu avec une passion acharnée le parti panslaviste, c'est-à-dire celui du protectorat de Saint-Pétersbourg, et j'ai proclamé hautement la nécessité de la destruction de l'ïïnpire de toutes les Russies, autant sous le rapport de la liberté de l'Europe et de l'émancipation des Slaves tant de 1'Autriche que de la Turquie, que sous le rapport de la propre émancipation des peuples russes qui étouffent dans cet empire comme dans une terrible prison. Il est vrai qu'aussi peu cérémonieux avec les ambitions allemandes qu'avec celles de la Russie officieuse et officielle, j'ai également proclamé la nécessité de la destruction de l'Empire d'Autriche et du royaume de Prusse, et voilà ce que les patriotes allemands, constitutionnels et démocrates, n'ont jamais voulu me pardonner, eux qui ne rêvaient pas autre chose dans l'assemblée nationale de Francfort et dans toutes les assemblées partielles des Etats d'Allemagne que la reconstitution de leur grand Empire germanique, en y ajoutant toujours, dans leur rêve, des institutions libérales et démocratiques, incompatibles avec l'existence d'un tel Empire."

BAKOUNINE avait à peine échappé, avec les autres membres du Congrès slave, aux balles des soldats de WINDISCHGRATZ que la calomnie du journal de MARX vint le frapper en pleine poitrine. Le 6 juillet 1848, on lisait dans la correspondance parisienne de la "Noue Rheinische Zeitung" (deuxième série de la "Gazette Rhénane" que MARX avait fondée à Cologne) : "On suit ici avec la plus grande attention, en dépit de nos dissensions intimes, les luttes de la race slave en Bohême, en Hongrie et en Pologne. En ce qui

touche la propagande slave, on nous a assurés hier que George SAND est en possession de papiers et de documents qui compromettent gravement H. BAKOUNINE, le russe proscrit de France, et établissent qu'il est un instrument de la Russie ou un agent nouvellement entré à son service, et qu'il faut le rendre responsable en grande partie de l'arrestation des malheureux Polonais, qui a été opérée dernièrement. Nous n'avons ici aucune objection à opposer à l'établissement d'un empire slave, mais ce n'est pas en trahissant les patriotes polonais que l'on arrivera jamais à ce résultat."

En réponse à cette accusation, B^aKOUNIIŒ écrivit, le 9 juillet 1848, la lettre suivante à "l'Allgemeine Oder-Zeitung" de Breslau :

"Monsieur le Rédacteur ! J'ai appris que depuis quelque temps déjà, on répand sur mon compte et sur le but de mon séjour à Breslau des bruits calomnieux. Il m'a été pénible de voir mes intentions méconnues de la sorte ; cependant, j'ai cru devoir garder le silence, d'abord, parce que je considérais comme indigne de moi de répondre à des insinuations vagues, anonymes, craignant la lumière du jour ; ensuite, parce qu'il est dans les nécessités de ma situation et dans l'intérêt de la cause que je représente d'attirer le moins possible, en ce moment, l'attention publique sur moi ; enfin et ceci est la raison principale, parce que je suis convaincu que, à l'heure actuelle, on doit prouver sa conviction beaucoup plus par des actes que par des paroles, chacun devant avoir bientôt l'occasion de montrer réellement au service de qui il est et quel est l'esprit qui l'anime.

"Aujourd'hui, cependant, je suis obligé de rompre le silence. Une accusation publique, formelle, lancée contre moi dans la "Neue Rheinische Zeitung" exige de ma part une réponse également formelle. Je me la dois à moi-même et à mes amis allemands, et j'espère, monsieur

le rédacteur, que vous ouvrirez les colonnes de votre journal à un étranger qui n'a d'autre arme à sa disposition que la publicité de la presse. J'ai à lutter contre un ennemi puissant, irréconciliable qui, depuis que je l'ai attaqué publiquement dans un discours prononcé à Paris, me poursuit systématiquement et infatigablement, .e^q^_r£ussit_même à employer^ejt _exjDloi-ter ,_jpour arriver à ses finsj_ mes. allijls^naturels^la ^émocrati.e_ejt ses. organes,. Il me représente, auprès des gouvernements, comme un démagogue capable de tous les crimes, et cherche, en même temps, à me discréditer dans l'opinion publique, en répandant l'accusation que je suis un agent. Il espère par là sans doute me lasser ou me perdre, - mais il en sera pour sa peine.

"J'ai cru devoir, tout d'abord, au sujet de l'accusation portée contre moi dans la "Neue Rheinische Zeitung", n'adresser à l'âne George SAND et je vous prie de reproduire dans votre journal cette lettre avec ma déclaration. Je me réserve de vous communiquer la suite de cette affaire en temps utile.

M. BAKOUNINE.

"Breslau, 9 juillet 1848.

"Madame,

"On s'est servi de votre nom pour répandre sur mon compte des bruits calomnieux. Je viens de lire à l'instant la correspondance suivante de Paris dans la "Neue Rheinische Zeitung".

(Suit la correspondance reproduite ci-dessus).

"Je n'ai pas besoin de vous faire remarquer la signification sérieuse d'une telle accusation. Ou bien le correspondant a menti, ou bien son accusation repose sur quelque fondement. Dans le premier cas, je

vous prie instamment, au nom de la sympathie que vous m'avez toujours témoignée, de donner à ce correspondant un démenti formel. Veuillez prendre en considération, Madame, qu'il s'agit de mon honneur qui, à l'abri de votre nom, a été attaqué d'une manière odieuse et que ces attaques se produisent précisément à un moment où j'ai plus que jamais besoin de la confiance publique, en vue de la bonne cause que je défends.

"Seriez-vous véritablement et contre mon attente, Madame, à la source de ces accusations, alors je ne m'adresse plus à votre sympathie, mais à votre sentiment de justice et d'honneur. Je vous respecte trop et vous estime comme trop noble et trop consciencieuse pour admettre que vous ayez pu propager contre moi une semblable accusation à la légère et sans vous être vous-même convaincue de sa véracité. Des preuves, vous no pouvez pas en avoir, car on ne prouve pas ce qui n'existe pas. Mais je dois supposer que vous avez des preuves "apparentes" assez puissantes peur qu'elles aient pu vous faire concevoir une opinion erronée à mon sujet. Je vous mets en demeure de livrer immédiatement à la publicité tous les documents qui seraient de nature à me compromettre pour que je puisse les réfuter et apprendre en même temps à connaître les auteurs d'une calomnie éhontée. J'ai le droit d'exiger ce que je demande, car m'ayant attaqué, vous avez assumé, envers moi et envers le public, un devoir sacré, notamment, celui d'apporter la preuve de votre accusation.

"J'ai l'honneur d'être, Madame, etc...

M. BAKOUNINE."

Le 3 août 1843, -il avait fallu près d'un mois pour préparer cette réponse- Karl MARX lui-même écrit dans son journal s

"Nous avons reproduit dans notre N° 36 (6 juillet) un bruit mis en circulation à Paris, d'après lequel George SAND posséderait des papiers établissant que le réfugié russe BAKOUNINE serait un agent de l'empereur Nicolas. Nous avons communiqué ce bruit à nos lecteurs, tel qu'il nous est parvenu de deux correspondants différents, ne se connaissant pas l'un l'autre. Nous avons ainsi accompli notre devoir de publiciste, qui consiste à surveiller étroitement les hommes publics et nous avons en même temps donné par là à M. BAKOUNINE l'occasion de dissiper ce soupçon, qui a véritablement existé à Paris dans certains cercles. Nous avons reproduit la déclaration de M. BAKOUNINE et sa lettre à Finie George SAND, publiées dans 1'"Allegemeine Oder-Zeitung", avant même que M. BAKOUNINE nou3 eût prié de le faire. Nous donnons maintenant la traduction d'une lettre de George SAND à la "Neue Rheinische Zeitung" et nous déclarons par là cette affaire comme terminée :

"Monsieur le rédacteur,

"Sous la date du 3 juillet, vous avez publié dans votre journal l'article suivant :

(suit la correspondance de Paris donnée plus

haut).

"Les faits que vous a communiqués votre correspondant sont totalement faux et n'ont pas la plus légère apparence de vérité. Je n'ai jamais possédé la moindre preuve dos accusations que vous cherchez à accréditer contre B;JCOUNINE, que la monarchie déchue a proscrit de France. Je n'ai par conséquent jamais pu avoir le moindre doute dans la loyauté de son caractère et la sincérité de ses convictions.

"Je fais appel à votre honneur et à votre

conscience pour la publication immédiate de cette lettre dans votre journal.

"Agréez, etc...

George SâND."

"La Châtre (Indre) 20 juillet 1846. (1).

L'affaire était terminée, disait MARX, mais il devait y revenir plusieurs fois encore, donnant ainsi une preuve non équivoque de sa mauvaise foi. En attendant, BAKOUNINE en fit connaître le résultat immédiat en ces termes : "Cette accusation me tombant tout d'un coup sur la tête, au moment même où j'étai3 en pleine organisation révolutionnaire, pendant quelques semaines paralysa complètement mon action. Tous mes amis slaves et allemands s'éloignèrent de moi. J'étais alors le premier Russe qui se soit mêlé d'une manière active à la Révolution. Et je n'ai pas besoin de vous apprendre quels sont les sentiments de défiance habituelle, traditionnelle, qu'éprouve tout d'abord tout esprit occidental lorsqu'il entend parler de révolutionnaires russes. J'écrivis donc d'abord à Mme SAND. Elle s'empressa de me répondre, m'envoyant la copie d'une lettre qu'elle avait envoyée à la rédaction de la "Gazette Rhénane", à laquelle elle donnait un formel et sévère démenti. Je me trouvais à Bres-lau, et j'envoyai un ami, un Polonais, à Cologne, pour exiger une rétractation solennelle et complète. MARX se rétracta, rejetant la faute sur le correspondant de Paris et déclarant que le journal avait donné place à cette correspondance pendant qu'il était absent (2) ; qu'il me

(1) Cf NETTLAU, I, ch. XII, passim.

(2) BAKOUNINE reproduit ici une conversation que MARX eut avec son envoyé, le Polonais K0SCI2LSKI, mais MARX ne lui dit pas la vérité, ainsi qu'il appert

connaissait trop bien pour avoir pu jamais etc., etc., force de compliments et d'assurances d'amitié et d'estime. La chose en resta là." (1)

BAKOUNINE avait dit dans une de ses lettres, en réponse aux calomnies de MARX, que l'heure allait bientôt sonner où chacun aurait l'occasion de prouver, non .par clés paroles, mais par des actes, de quels sentiments il était animé, et il le prouva en effet, pour son compte personnel, d'une manière éclatante et décisive. A quelques mois de là, après la défaite de l'insurrection de Dresde, dont il fut l'âme et le héros, il fut arrêté, condamné à mort, livré à l'Autriche, condamné à être fusillé, emprisonné en Russie d'cù, après avoir passé six années dans la forteresse de Pierre et Paul, il fut transporté en Sibérie. Après douze ans de souffrances de toute sorte, il réussit enfin à s'évader de son lieu d'exil, et son évasion même devint un prétexte à de nouvelles calomnies de la part de MARX et de ses amis.

Pendant ce temps, MARX qui ne se battit jamais nulle part, prit le plus tranquillement du monde la route de l'Angleterre, prêt à recommencer, en toute sécurité, sa campagne haineuse et perfide de diffamations contre le révolutionnaire vaincu, dès qu'une occasion propice viendrait à se présenter.

En 1853, alors que BAKOUNINE était, depuis plusieurs années déjà, renfermé dans une forteresse russe, MARX dénonça de nouveau lâchement, sous le voile de l'anonyme, le grand révolutionnaire comme un espion.

Alexandre HERZEN raconte (1) à ce sujet que c'était le moment où David URQUHARD remplissait la presse anglaise de son idée fixe -et sotte- que le gouvernement russe avait acheté tous les hommes politiques, plus ou moins révolutionnaires, de l'Europe occidentale. C'est ce même URQUHARD qui dit un jour dans un meeting, à Londres, que si KOSSUTH n'était pas vendu directement à la Russie, il était du moins sous l'influence d'un homme qui était, sans doute aucun, aux gages de la Russie, - et cet homme n'était autre que MAZZINI ! Un tel concours était précieux pour MARX et ENGELS qui s'empressèrent de déposer dans les colonnes du "Morning Advertiser", journal où URQUHARD exerçait alors une très grande influence, leurs injures et leurs calomnies contre BAKOUNINE. HERZEN et GOLOVINE exigèrent les preuves de cette accusation, mais en vain.

Plus tard, au commencement de 1862, lorsque BAKOUNINE, s'étant évadé heureusement de Sibérie, arriva à Londres où il entra immédiatement en relations avec MAZZINI, Aurelio SAFFI, Louis BLANC, tf. J. LINTON, HOLYOAKE, BRADLAUGH, Félix PYAT, F. GARRIDO et autres (2) la même campagne de diffamation recommença aussitôt et cette fois, dans le journal "Free Press" de URQUHARD, dont Karl MARX était l'un des collaborateurs assidus. Le 5 mars 1862, ce journal publiait un article infâme, non signé, sur BAKOUNINE, commençant par ces mots : "Another cf these agents has again been loose upon Europe, etc." HERZEN ùt MAZZINI défendirent encore une fois leur ami ; mais comme suivant leur habitude MARX et URQUHARD se gardèrent bien d'apporter la moindre preuve de leurs accusations perfides et anonymes, pas

(1) NETTLAU I, 142. - A HERZEN, SbornjJ; postm. st. pp. 51-80 (les Allemands dans 1'émigration).

(2) NETTLAU, I, 146.

plus du reste qu'ils ne l'avaient fait en 1846, en 1849, en 1853, HERZEN mit fin à la polémique par une déclaration, intitulée : "Ultimatum", insérée dans le "Kolokol" (1) et se terminant par ces mets : "Parmi les Russes, il n'y a personne qui soit assez stupide pour ajouter foi à ces calomnies, ni personne qui soit assez méprisable pour les répéter." Quant à BAKOUNINE, il se borna à annoncer dans un journal anglais que si son "noble" ami, le chef des communistes allemands, voulait signer ses infamies, il lui répondrait non pas la plume à la main, mais avec la main sans plume." (2) MARX empocha tranquillement le soufflet ainsi qu'un autre qu'il reçut par la même occasion d'un comité d'ouvriers révolutionnaires anglais envoyant une adresse "de fraternelle sympathie à leur illustre ami, le grand révolutionnaire russe Michel BAKOUNINE ." (3)

Au mois d'octobre 1864, BAKOUNINE, revenant de Suède, repassa par Londres, avant de partir pour Paris et Florence. MARX chercha cette fois à le voir, à se rapprocher de lui. Quelle idée machiavélique avait bien pu lui passer par la tête ? Je ne sais, mais BAKOUNINE écrit à ce sujet dans le manuscrit inédit que j'ai eu l'occasion de citer (4) :

"A la fin de 1863, je retournai de Suède à

(1) KOLOKOL, n° du 5 mai 1862.

(2) Arnold RUGE, "Correspondance", 13 mars 1862. - NETTLAU, I, 147.

(3) NETTLAU, I, 149. - Cette adresse est reproduite dans "The Cosmopolitan Review", fév. 1862.

(4) "Rapports personnels etc.", ms. p. 9-10 -NETTLAU I, 72.

Londres et je partis de là par la Belgique, la France et la Suisse pour l'Italie. Je passai cet hiver et une partie de l'été en Toscane, et en 1864, au mois d'août, je retournai par les mêmes pays en Suède. En octobre, je revins de nouveau à Londres. Ce fut alors que je reçus de MARX un billet que je conserve encore et dans lequel il me demandait si je voulais le recevoir chez moi "domain". Je lui répondis que oui et il vint. Nous eûmes une explication ; il me jura que jamais il n'avait rien dit ni rien fait contre moi, qu'au contraire, il avait toujours conservé pour moi une sincère amitié et une grande estime. - Je savais quo ce qu'il disait n'était pas vrai, mais je ne lui gardais vraiment aucune rancune. D'ailleurs, le renouvellement de sa connaissance m'intéressait beaucoup sous un autre rapport. Je savais qu'il avait puissamment coopéré à la fondation de l'Internationale. J'avais lu le manifeste qu'il avait écrit au nom du Conseil général provisoire, un manifeste qui était remarquable, sérieux et profond comme tout ce qui sort de sa plume lorsqu'il ne fait pas de la polémique personnelle. Enfin, nous nous quittâmes extérieurement très bons amis. Je ne lui rendis pourtant pas sa visite."

Que faut-il penser du caractère et de la bonne foi de MARX, que l'on trouve à l'origine, à la source de toutes les calomnies contre BAKOUNINE, qui le fait passer partout pour un agent à la solde de la Russie, et qui l'assure cependant do son amitié et de son estime ! Conçoit-on hypocrisie plus raffinée ?

Jusqu'ici, BAKOUNINE écrivait à HERZEN 2

"... A prapos, il paraît que le gouvernement russe me poursuit jusques à Naples. Ces jours derniers, j'ai appris que le préfet, le marquis GUALT3RI0, un ex-consorito et un petit homme d'Etat, a exprimé à RAN-ZONI le soupçon que je serais l'inspirateur de tous les mouvements en Sicile, et spécialement à Païenne et dans

tout le sud de l'Italie et que c'est noi aussi qui fabrique et distribue les faux billets de banque que l'on a mis dernièrement en circulation. Pour moi, je suis absolument convaincu que cette accusation émane de KISSELEFF, mon ancien ."ami" de Paris, aujourd'hui ambassadeur a Florence. J'espère tout découvrir bientôt et m'apprête à parer ce nouveau coup."

Le 29 mai, il écrivait à FANELLI :

"Je viens de recevoir de M. Angelo de GUBERiîATIS la lettre la plus étrange, contenant une accusation plus étrange encore, et qui, toute ridicule qu'elle est, exige cependant de ma part une démarche sérieuso. Vous en jugerez vous-même, car voici ce qu'il m'écrit :

"Le professeur LIGUANO, mon bon ami, m'a informé, me sachant ton cousin, des pas (?) de GUALTERIO. GUALTERIO lui a demandé s'il te connaissait ; il a répondu que non, mais qu'il savait que la famille de BAKOUNINE était une famille de gentilshommes. GUALTERIO alors lui a fait savoir que le faux papier-monnaie qu'on a répandu à Naples, selon ses informations et suppositions, venait de toi. Une autre personne, un Russe, M. MELGOUNOFF qui connaît LIGUiJÎO, et qui probablement a appris la chose de lui, en a répandu le bruit. En peu de jours, malheureusement, tout notre cercle en a été informé. Je ne te cache pas mon indignation. Bans des moments si pénibles pour l'Italie, dans une telle misère, un tel manque d'argent, il n'y a pas de forfait plus grand pour moi que de venir assassiner le pays avec du faux papier-monnaie."

'VA la fin de sa lettre, M. de GUBERMATI8, mon parent par sa femme qui est Russe, a la bonté de m'informer qu'il ne croit pas que j'aie fait de la fausse monnaie !

"Votre premier mouvement, cher FANELLI, sera sans doute celui de me conseiller de commencer par demander raison à M. de GUBEEtNATIS lui-même, pour avoir osé me parler en ces termes et en y ajoutant niaisement foi, de cette accusation aussi ridicule qu'infâme. Mais si vous connaissiez mon jeune cousin par sa femme, comme je le connais, moi, vous comprendriez qu'il serait ridicule de s'en prendre à lui, qu'il faut remonter aux honnes sérieux, à M. le professeur LlGUANO d'abord, ensuite à M. le marquis GUALTERIO.

"Quant aux faits racontés par M. GUBERNATIS, il m'est impossible de les mettre en doute. C'est une assez pauvre tête, il est vrai, dénuée de discernement et de critique, désorientée quelque peu par la fausse position que lui a fait prendre entre tous les partis son enthousiasme ardent, puissant, vaniteux et inquiet, - mais après tout, c'est un honnête garçon, incapable de mentir sciemment et de contourner les faits. Il est donc avéré pour moi que tout s'est passé comme il le dit et qu'il a entendu dire par M. le professeur LlGUANO tout ce qu'il me rapporte dans sa lettre."

BAKOUNINE demande ensuite à FANELLI, qui est son ami, qui a vu de si près l'existence franchement ouverte à tous les hommes sympathiques, mais d'un autre côté si modeste, si tranquille et si retirée qu'il mène depuis deux ans à Naples, et qui en même temps connaît la plupart de ses relations et son entourage quotidien, s'il peut admettre un seul instant qu'un préfet réellement intelligent et capable ait pu concevoir sérieusement contre lui un pareil soupçon ? - Non, assurément, et il raconte alors à son ami ce que ICISSELEFF, le comriensal de la famille von WESTPHALEN, avait tramé contre lui à Paris, en 1847, et il en conclut que c'est à Florence qu'il faut aller chercher la source et l'origine de cette odieuse machination (1). De plus, à la même époque,

(1) Cf NETTLAU, I, 183

en lisait dans la "Gazette officielle de Varsovie" : "L'existence à l'étranger d'une société d'incendiaires et de fabricants de faux billets de crédit russe, dont HERZEN et BAKOUNINE, avec leur bande, font partie, est un fait si complètement démontré que le grand maître de la police en a fait le sujet de son très humble rapport à sa Majesté 1'Empereur." Et je tiens moi-même de M. Louis YJSBER père, un très respectable révolutionnaire qui fit avec ENGELS la campagne de 1848 dans le grand-duché de Bade que Karl MARX, désespérant de faire passer BAKOUNINE pour un espion, répandit à profusion, au sein de 1'émigration de Londres de ce temps, la bonne nouvelle de BAKOUNINE faux-mennayeur ! MARX pouvait bien aider KISSELEFF en 1867 comme KISSELEFF avait aidé MARX en 1847, à Paris ! - Naturellement, l'invention du faux-monnayage ayant suffisamment circulé, il n'en fut jamais autrônent question ; les jésuites connaissaient le mot de VOLTAIRE : "Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose."

Depuis 1886, BAKOUNINE, emporté par un besoin d'action incessant, avait adhéré à l'Association internationale des Travailleurs, ce qui déplut fort à Karl MARX ; aussi recommença-t-il aussitôt contre lui, mais par personnes interposées, sa campagne de dénigrement, de diffamation et de calomnies. Sigismond Louis BORKHEIM, le plus venimeux valet de plume de 1 ' autocrate communiste de Londres, écrivit dans le "Demokratisches Wochenblatt" de LIEBKNECHT, journal paraissant à Leipzig, des articles immondes sur les émigrés politiques russes dans l'Europe occidentale, puis continua sa triste et lamentable besogne dans la "Zukunft" (1) organe de la démocratie prussienne, fondé à Berlin par Johann JACOBY. Il y poursuivit BiJCCUNIIiS et HERZEN, au

dire d'un Internationaliste du Jura (1) "avec l'acharnement d'une hyène sur un cadavre." Cet exécuteur des basses-oeuvres marxistes "cherchant à faire de l'esprit, ne réussit qu'à donner des nausées."

Après avoir dit qu'il ne tenait aucun compte des vilenies de certaines gens, BAKOUNINE s'exprime ainsi dans le manuscrit qu'il a consacré à ses rapports personnels avec MARX s (2)

"Nais il m'a été impossible de garder la même attitude vis-à-vis des calomnies que des gens équivoques, non au point de vue de la politique et de ce qu'on appelle vulgairement l'honnêteté personnelle, mais à celui du socialisme et de leur sincérité vis-à-vis du monde ouvrier, que des bourgeois qui se disent socialistes ont tâché de répandre dans l'Association internationale contre moi. Cette grande association constitue, selon ma conviction profonde, le monde de l'avenir, et autant je suis indifférent pour 1''opinion bourgeoise, autant je ne le suis pas pour la sienne. Il me suffit donc d'apprendre que de pareilles gens me calomnient sournoisement, lâchement dans la société ouvrière, pour que je cherche l'occasion de les démasquer. Cette occasion ne tarda pas à se présenter.

"J'avais appris un mois à peu près avant le Congrès de Baie et à la veille de celui d'Eisenach, qu'un des chefs du nouveau parti de la démocratie sociale dans le Nord de l'Allemagne -je m'abstiens do le nommer-avait osé dire, dans une réunion semi-politique d'amis, que j'étais évidemment un agent excessivement dangereux du gouvernement russe, que je ne m'étais enfui de Sibérie qu'avec l'aide de ce gouvernement et qu'il en avait

(1) NETTLAU, II, 360.

(2) "Rapports personnels", etc., p. 103 sqq.

toutes les preuves dans la main ; que par la fondation de l'Alliance de la démocratie sociale, j'avais voulu détruire l'Association internationale des Travailleurs et que, rusé et diplomate comme le sent tous les Russes, j'avais même réussi à tromper et à entraîner le vieux socialiste allemand Johann Philipp BECKER.

"Ce dernier partait précisément pour le Congrès d'Eisenach : je le chargeai d'une lettre ouverte pour mon calomniateur, en le priant de la lui lire en présence de tout le Congrès. Dans cette lettre, je donnais à mon accusateur nouveau un mois de temps pour réunir contre moi toutes les prouves possibles, en l'avertissant que s'il ne prouvait pas ses odieuses accusations contre moi au Congrès de Baie, où nous devions nous rencontrer tous les deux, je le traiterais comme un calomniateur."

La lettre de BAKOUNINE existe encore ; elle est conservée dans les archives du parti social-démocratique allemand, à Berlin ; comme il n'est pa3 probable qu'elle scit jamais publiée et qu'elle donne le nom d'un deuxième calomniateur -le premier calomniateur est connu depuis le Congrès de Baie- il est intéressant de la livrer à la publicité. Le Dr NETTLAU en donne le texte original en allemand (1) ; en voici la traduction :

"Mon cher BECKER, - Notre ami WERTHEIK m'a dit et il a répété hier en ta présence qu'il plait au socialiste allemand et homme d'honneur, M. LIEEKNECHT, de me calomnier de la façon la plus ignoble. Il a certifié publiquement et en présence de WERTHEIK :

1° Que je suis un agent russe, et qu'il en possède les preuves les plus irréfutables.

2°- Que je me suis évadé do Sibérie avec l'aide du gouvernement russe ;

3° Que par la fondation de l'Alliance, j'ai voulu méchamment ruiner l'Association internationale des Travailleurs ;

4° Que le vieux BECKER s'est laissé duper par moi, le Russe, plus habile que lui.

"Je passe sous silence d'autres aménités pour chacune desquelles il mériterait simplement d'être giflé.

"D'autre part mon ami WERTHEBI m'a fait lire une lettre de M. BEBEL, dans laquelle celui-ci donne à entendre que je suis probablement un agent russe, mais tout aussi probablement, et concurremment avec M. von SCHWEIT-ZER, un agent de BISMARK.

"J'aurais aussi le droit de demander raison de ces paroles à M. BEBEL, un honnête homme ne devant jamais, sur de simples on-dit, émettre une accusation infamante contre un autre homme qu'il ne connaît pas* Mais comme j'ai tout lieu de croire que l'auteur premier de ces calomnies est M. LIEBKNECHT, que je ne connais pas davantage du reste, je veux m'en tenir aujourd'hui h ce dernier seulement.

"Comme ami et coreligionnaire politique, je te prie, cher BECKEP., et comme frère do notre Alliance, à la fondation de laquelle tu as pris une part si active, je te mets en demeure de déclarer, en mon nom, à M. LIEBKNECHT que je le considère comme assez sérieux pour savoir que, s'il prend plaisir à calomnier un homme, il doit aussi avoir le courage d'assumer la responsabilité de ses calomnies et qu'il a avant tout le devoir d'appuyer ses assertions de preuves irréfutables.

"Je lui donne un mois de temps pour réunir contre moi toutes le3 preuves possibles. Au Congrès de Baie, il devra donner publiquement les raisons de mon indignité ou s'attendre à être traité par moi, en présence de tous, de canaille infâme et de méprisable calomniateur.

Je tiens, mon cher ami, à ce que cette lettre soit lue, non seulement à MM. LIEBKNECHT et BEBEL, mais à tous les membres du Congrès, et si c'est pœsi-ble dans une des séances même du Congrès d'EISENACH.

"Ton ami, M. BAKOUNINE."

"Arrivé à Baie pour le Congrès, continue BAKOUNINE (1) je l'y rencontrai en effet. Ce que je devais faire m'était indiqué par le but mène que je voulais atteindre, celui d'une explication décisive et complète en plein public ouvrier. Je devais donc n'abstenir, au moins dans le comnencenent, de toute provocation personnelle. Il ne répugnait d'ailleurs d'introduire dans le nonde de la démocratie ouvrière des habitudes bourgeoises. Bans l'Internationale, il n'y a qu'un moyen de justice et de réparation pour l'honneur offensé : c'est le jugement populaire.

"Il me répugnait également d'occuper tout le Congrès de ma question personnelle. D'ailleurs l'International e, toute jeune qu'elle est, a déjà pour de pareils cas une pratique bien établie î celle des jurys d'honneur.

"De non côté, je choisis au sein du Congrès cinq jurés : Fritz ROBERT, délégué de la Suisse

romande ; Gaspard SENTINON, Espagnol, délégué de 1*.Alliance de la démocratie socialiste et des sections ouvrières de Barcelone, PALIX, délégué de Lyon ; César de PAPEPE, délégué de Bruxelles et NEUKAYR, autrichien, délégué de Vienne. De tous ces délégués, je n'avais connu auparavant que Fritz ROBERT, pour l'avoir rencontré quelquefois dans les montagnes du Jura, et je n'avais fait la connaissance des autres qu'à la veille du Congrès à Genève ou à Baie.

"De son côté, non adversaire avait choisi cinq délégués allemands, parmi lesquels le citoyen ECCARIUS, secrétaire du Conseil général de Londres, les citoyens RITTINGHAUSEN et SPIER. Je ne me rappelle pas avec certitude que Maurice HESS ait été de ce nombre, mais il me paraît que oui. Quant au nom du cinquième, je l'ai totalement oublié. De plus, le vieux Joh. P. BECKER, le socialiste respecté de tout le monde, assistait au jury comme témoin.

" ... J'accusai mtn adversaire de m'avoir calomnié et je le sommai de produire les preuves de son accusation contre moi. Il me répondit qu'on m'avait faussement interprété ses paroles, qu'il ne m'avait jamais accusé et n'avait jamais dit qu'il eût quelque preuve contre moi ; qu'il n'en avait aucune, excepté une seule peut-être : c'était mon silence après les articles diffamatoires que BORCKHEIM avait publiés contre moi dans l'organe principal do la démocratie prussienne, la "Zukunft", et qu'en parlant de moi devant ses amis, il n'avait fait qu'exprimer la surprise que lui avait causée ce silence, que du reste, il m'avait réellement accusé d'avoir porté un dommage à l'établissement de 1'Internationale par la fondation de l'Alliance de la démocratie socialiste.

Cette question de l'Alliance fut mise de côté à la doaande d'ECCARIUS, membre du Ccnseil général, qui

observa que l'Alliance ayant été reconnue comme une branche de l'Internationale, que son programme aussi bien que son règlement ayant reçu la sanction unanime de Londres et que son délégué ayant été reçu au Congrès, il n'y avait plus lieu d'en discuter la légitimité.

"Quant "à la question principale, le jury déclara à l'unanimité que mon adversaire avait agi avec une légèreté incroyable, en accusant un membre de 1'Internationale sur la foi de quelques articles diffamatoires publiés par un journal bourgeois.

"Cette déclaration me fut donnée par écrit. Je dois dire d'ailleurs que mon adversaire reconnut noblement devant tous qu'il avait été induit en erreur sur mon compte. C'était notre première rencontre ; il me tendit la main et je brûlai devant tous la déclaration écrite du jury."

LIEBKIïECHT reconnut qu'ayant contribué à propager des accusations contre BAKOUNINE, il lui devait une réparation, et lui offrit d'insérer à ce titre, dans le "Volkstaat", un article que le révolutionnaire russe avait publié dans le journal italien "Liberté e Giustizia" et qui contenait sa profession de foi. Or, cet article ne parut jamais, mais LIEBKNECHT inséra en revanche dans son journal des correspondances envoyées de Paris par Maurice HESS et dans lesquelles étaient reproduites les mêmes accusations déclarées mensongères et infâmes par le jury d'honneur de Bâlo !

Pense-t-on que si LIEBKNECHT eût été le maître de sa volonté et de ses sentiments, il eût agi avec cette déloyauté ? C'est impossible, répond à cette question l'auteur du "Mémoire de la Fédération jurassienne" ; la seule chose possible, la seule explication vraie de cette incroyable aberration du sens moral, c'est que, une fois LIEBKNECHT retourné à

LEIPZIG, le dictateur MARX lui représenta son attitude . de Bâle et sa promesse à BAKOUNINE comme une coupable faiblesse de sentiments et lui défendit d'y donner suite. (1)

Dans la suite encore, et jusqu'à la veille même du Congrès de La Haye, le journal de LIEBKNECHT publia de nombreux articles, tous plus injurieux les uns que les autres pour BAKOUNINE ; MARX avait à son service, pour cette besogne malpropre, les instruments les plus dévoués, Charles HIRSCH et Frédéric ENGELS entr'autres.

Pendant les mois de juillet et d'août 1872, le journal, inspiré par MARX, fut particulièrement haineux ; et le 30 août de cette année, il publia une correspondance de Breslau (2) qui montre clairement combien peu le souci de la vérité animait le cercle qui gravitait autour du chef des communistes allemands.

"Vous terminez votre quatrième article sur BAKOUNINE, disait ce correspondant, par ces .mots :

"Si M. BAKOUNINE ne nous avait "pas assurés qu'il veut la destruction de tous les Etats, donc aussi de l'Etat russe, pour édifier la puissance négative du prolétariat, nous le considérerions, après ce que nous en avons dit, comme le principal thuriféraire du Czar." Je vais vous dire ce que je sais de M. BAKOUNINE. J'appris à le connaître à Breslau, en 1848, où il fut aussi-têt admis dans la société démocratique. Il y joua même,

quoique non ouvertement, un rôle assez considérable. Je me méfiai de lui bientôt, dès son retour du Congrès slave de Prague, auquel il prit part, non comme démocrate, mais comme représentant du panslavisme. En cette qualité il réclama aussi la Silésie comme partie intégrante du futur Etat panslaviste, - la Silésie ayant appartenu autrefois à un Empire slave ! Le "démocrate- BISMARK n'argumente pas autrement pour l'Alsace et la Lorraine.

"La "Neue Rheinische Zeitung" de cette qpoque mit le public en garde contre BAKOUNINE qui n'était autre chose, au sein du parti révolutionnaire, qu'un agent de la Russie. Cette accusation émut vivement le parti démocratique à Breslau. On me conseilla, en ma qualité de correspondant du journal, de prendre la défense de BAKOUNINE. J'écrivis dans ce sens à celui des rédacteurs que je connaissais personnellement, à Wilhelm WOLFF. Voici sa réponse :

"Cher ami, qu?l réactionnaire t'a inspiré ta lettre ? La.rédacj:ion^ne publie pas d'avertissement aux amis_sans etre_au préalable convaincue de la réalité des, .faits. a.vancés ._Kais si_tu veux connaître jDar toi-meme les documents £t_l^s_preuves^ adresse^toi. à Geor£e_SAND,_CJEST_D^LE JJUE N0US_L^_»I0NS.J1 - Vous voyez que vous pouvez sans hésiter considérer BAKOUNINE, au sein du parti révolutionnaire, comme l'agent de la Russie ou plutôt du czar.

"BAKOUNINE fut informé de la réponse qui me fut faite ; il ne se justifia pas, mais disparut bientôt après de la Silésie ET RETOURNA EN RUSSIE ! Il en revint pour prendre part ensuite aux insurrections de mai en Saxe."

Si le correspondant reçut réellement la lettre ci-dessus de Wilhelm WOLFF, que doit-on penser de la véracité de ce fameux démocrate, à qui Karl MARX dédia le premier volume de son "Capital" ? Et que penser aussi de celle des gens du "Volkstaat" qui, au courant des moindres faits relatifs à BAKOUNINE, accueillirent dans leur journal cette calomnie, mise en circulation et soigneusement entretenue depuis 1848 par Karl MARX ?

IV

Après le Congrès de Baie, M. Nicolas OUTINE, fils d'un riche spéculateur russe, vint s'établir à Genève et réussit bientôt à se faufiler dans la rédaction du journal "L'Egalité", organe officiel de la Fédération romande de l'Internationale. MARX en fit immédiatement l'instrument de ses rancunes et de sa haine contre BAKOUNINE. Il lui avait écrit, dès 1869, lui recommandant de rechercher et de rassembler tous les documents possibles qui prouveraient l'indignité de son compatriote. "Je sais, dit BAKOUNINE (1), qu'OUTINE honoré et heureux de cette commission s'est mis en quatre, a remué ciel et terre pour trouver quelque chose ; je sais qu'à force de peines, ils 3ont parvenus à forger toute une série d'accusations contre moi, auxquelles ils accordent eux-mêmes si peu de confiance qu'ils n'ont pas osé en publier une seule jusqu'ici." Dans une autre lettre au même correspondant (2), BAKOUNINE trace du nouvel auxiliaire de MARX un portrait dont tous ceux qui ont connu le triste personnage reconnaîtront la parfaite fidélité et l'entiere ressemblance :

"Je vous ai dit qu'aucun mensonge, aucune calomnie, aucune infamie venant de M. OUTINE ne saurait m'étonner; tourmenté par une ambition et par une vanité qui n'égalent que sa nullité, la bouche toujours pleine de paroles pompeuses qu'il a apprises par coeur et qu'il répète comme un perroquet ; la voix sonore, les gestes pathétiques, mais le coeur absolument vide de tout autre objet que lui-même, et la tête incapable de concevoir et de développer une idée, sauteur sans vergogne, menteur effronté, lâche et poltron lorsqu'il ne se sent pas soutenu, mais devenant d'une arrogance fabuleuse lorsqu'il y a une masse musculaire derrière lui ; versatile et faux comme un jeton, courbant 1'échine devant tout ce qui lui parait influent et brillant, flattant le prolétariat par les manifestations d'une humilité et d'un respect hypocrites, changeant enfin de principes comme on change d'habits, ce petit misérable n'a d'autre force que son front d'airain, sa conscience sans vergogne, son incontestable talent pour l'intrigue et une dizaine de mille livres de rente qui le posent très bien dans le parti de la réaction aujourd'hui dominante de l'Internationale de Genève."

Ajoutons, comme dernier trait et qui achèvera de le peindre, que ce fougueux révolutionnaire marxiste a depuis imploré son pardon auprès de son souverain et maître, le Czar !

C'est à cet homme que Karl MARX confia la tâche de faire un rapport sur le fameux procès NETCHAIEFF et sur "l'Alliance de la démocratie socialiste" en Russie ! Ce rapport et les documents qui s'y rapportent furent ensuite convenablement falsifiés par les soins de MARX, à Londres, et présentés à la Commission d'enquête nommée par le Congrès international de La Haye, commission dont pas un seul membre ne connaissait un mot de russe, mais qui n'en conclut pas moins à l'exclusion de BAKOUNINE de l'Association internationale des Travailleurs. La majorité du

Congrès, aveuglément soumise aux volontés de MARX, ratifia les conclusions de la Commission et ordonna en outre que les documents seraient publiés. C'est ce que l'implacable ennemi de BAKOUNINE désirait. Au mois d'août 1873, un an après le Congrès, parut le scandaleux rapport, ou plutôt le pamphlet odieux, intitulé : "L'Alliance de la Démocratie sociale et l'Association internationale des Travailleurs". Ce libelle a servi depuis à la plupart de ceux qui ont étudié le rôle de BAKOUNINE en Russie et dans le reste de l'Europe, à M. Emile de LAVELEYE entr2autres, qui a pu se vanter d'avoir ainsi donné à MARX un fameux coup de main dans la propagation des mensonges et des calomnies qui remplissent les cent trente-sept pages de cette oeuvre Immonde. Le docteur NETTLAU prouve aujourd'hui, par la comparaison minutieuse des textes russe et français, que la partie la plus importante de ce soi-disant rapport, celle qui a trait aux relations de NETCHAIEFF et de BAKOUNINE, et aux prétendus écrits de celui-ci pendant cette période, repose sur des documents tronqués ou falsifiés ! MA^_s^e^tjpeimis d/al_téjrer des jtextes^ ajout an t_ _ou xejtrjmchanJ; d.es_ membres. ^ejtogses_entiers^ modifiait .les. temps, des verbes^ .etc £OT^_f^i^e_dire a. BAKOUNINE autre chose que ce _gulil di-sait__en effet.,jarfoi,s_jnj|me exactement le_corrtr air e_de sa^pensée, et pour arriver, par ces moyens honteux, indignes d'un homme qui se respecte, à prouver la mauvaise foi politique de son adversaire (1).

Le pamphlet de MARX, publié en français à Londres et à Hambourg, chez l'éditeur du "Capital", a été peu répandu en France, mais une traduction allemande en a été faite par les soins du parti social-démocratique allemand (2), et a été réimprimée jusqu'aujourd'hui bon

nombre de fois. Cet ignoble libelle sert toujours à combattre les idées libertaires en Allemagne, dans la Belgique flamande, en Hollande, dans les pays Scandinaves .

Je n'ai pas l'intention, à la suite du Dr NETTLAU, de réfuter toutes les accusations contenues dans le triste et lamentable écrit de Karl MARX ; une telle réfutation m'entraînerait hors des limites que je me suis assignées dans ces pages. Il en est une cependant que je tiens à relever, c'est celle d'escroquerie et de chantage que le rapport de la Commission d'enquête de La Haye met à la charge de BAKOUNINE et qui, à la lumière des faits, ne tient pas plus debout que les autres. La Commission d'enquête avait été mise en mesure de statuer en connaissance de cause sur cette accusation ; Nicolas JOUKOWSKY lui avait donné, à ce sujet, les détails les plus complets et les plus authentiques. Mais MARX tenait à déshonorer son adversaire ; la Commission ne voulut rien entendre.

Dès que les journaux eurent publié le rapport de la Commission d'enquête, un groupe de Russes réfugiés en Suisse adressa la protestation suivante à "La Liberté" de Bruxelles (1), l'organe le plus autorisé du socialisme international, à cette époque :

Genève et Zurich, 4 octobre 1872.

"Dans ce rapport évidemment inspiré par la haine et par le désir d'en finir, coûte que coûte, avec un adversaire incommode, on a osé lancer contre notre compatriote et ami Michel BAKOUNINE, l'accusation d'escroquerie et de chantage. La majorité de ce Congrès s'est rendue complice d'une grande infamie en décrétant l'expulsion d'un homme dont toute la vie a été consacrée au service de la grande cause du prolétariat et qui a expié ce crime par huit ans de réclusion dans différentes forteresses allemandes et russes et par quatre ax^ d'exil en Sibérie.

"Echappé de la Sibérie en 1861, il a été assailli par la calomnie marxienne qui n'a plus cessé de le diffamer depuis dans les journaux démocrates-socialistes ou non socialistes de l'Allemagne. Vous avez lu sans doute les contes sot3, ridicules et odieux que depuis trois ans on débite contre lui dans le "Vollcstaat". Aujourd'hui c'est à un Congrès international de Travailleurs préparé de longue main par M. MARX lui-même, qu'on a réservé le triste honneur de servir d'instrument à ses misérables vengeances.

"Nous ne croyons ni nécessaire, ni opportun de discuter ici les prétendus faits sur lesquels on a appuyé l'étrange accusation portée contre notre compatriote et ami. Ces. faits. nou3__s_orvt M^n_c^rmu_s?_c^rmus ^a^Jj^i^m^indres. détails et nous nous ferons un devoir de les rétablir dans leur vérité, aussitôt qu'il nous sera permis de le faire. Maintenant nous en sommes empêchés par la situation malheureuse d'un autre compatriote qui n'est pas notre ami, mais que les poursuites dont il est à cette heure même la victime de la part du gouvernement russe, nous rendent sacré.

"M. MARX, dont nous ne voulons pas d'ailleurs contester l'habileté, dans cette occasion a très mal calculé. Les coeurs honnêtes, dans tous les pays, n'éprouveront sans doute qu'indignation et dégoût en présence d'une intrigue grossière et d'une violation si flagrante des principes les plus simples de la justice.

Quant à la Russie, nous pouvons assurer à M. MARX que toutes ses manoeuvres seront toujours en pure perte. BAKOUNINE est trop estimé et connu pour que la calomnie puisse l'atteindre. C'est tout au plus si elle trouvera un accueil favorable dans la presse soudoyée par la police ou bien dans les rangs de la fameuse Internationale russe, dont il est bien permis à M. MARX de se vanter, mais qui n'en est pas moins complètement ignorée dans notre pays. Nous lui abandonnons généreusement ce succès.

"Nicolas OGAREFF ; Barthélémy ZAIZIN ;

Wladimir OZEROFF ; A. ROSS ;

Woldemar HOLSTEIN ; Zemphiri RALLI ;

Alexandre OELSNITZ ; Walerian SMIRNOFF."

Quels sont les faits qui motivèrent cette accusation de la part de Karl MARX ? Voici en peu de mots ce dont il s'agit. NEGRESAL, mort peu de temps après dans une forteresse russe, avait conclu, au nom de BAKOUNINE, un traité avec un éditeur russe pour la traduction du premier volume du "Capital". Le prix de ce travail avait été fixé à neuf conts roubles, dont un tiers lui avait été avancé, lorsqu'il alla se fixer de Genève à Locarno. La traduction était très difficile ; d'abord, il n'en pouvait faire que trois pages par jour, ensuite cinq ; il espérait arriver a dix pages et terminer le travail dans l'espace de quatre mois. Mme JOU-KOWSKY avait accepté de recopier le manuscrit de BAKOUNINE. Tous ces détails se trouvent dans des lettres qu'il écrivit à OGAREFF et prouvent qu'il s'était mis sérieusement à la besogne. Enfin, le 14 juin 1870, il écrivit de nouveau à OGAREFF, disant qu'il ne peut plus s'occuper de travaux de traduction, par suite de la malheureuse affaire L. (1) A la même époque, NETSCHAIEFF était revenu de Russie et avait réussi à capter la confiance de BAKOUNINE. Il lui donna à entendre qu'il

ferait mieux de consacrer tout son temps à la propagande révolutionnaire en Russie, et se faisait fort de trouver le plus aisément du monde un autre traducteur qui, pour les six cents roubles restants, achèverait le travail. JOUKOWSKT au contraire était d'avis que tout le groupe qui entourait BAKOUNINE se partageât la besogne et que lui, BAKOUNINE, revisât le travail. BAKOUNINE ajouta foi à NETSCHAIEFF qui l'assura avoir arrangé l'affaire au mieux des intérêts de tous et il ne fut plus question de la traduction. Mais l'indigne mystificateur qui plus tard devait commettre bien d'autres vilenies, s'était contenté d'écrire une lettre à l'éditeur, le menaçant de mort, s'il se permettait encore d'écrire à BAKOUNINE au sujet de ce travail. Cette lettre fut envoyée à MARX qui la produisit à La Haye, où JOUKOWSKY donna les détails les plus circonstanciés sur cette affaire, à laquelle BAKOUNINE était complètement étranger. Pour les trois cents roubles reçus, BAKOUNINE avait fait le tiers de l'ouvrage et l'impression en avait dé^à été commencée. La première partie de l'accusation lancée contre lui par la Commission d'enquête, sur les ordres de MARX, était donc fausse et controuvée, la deuxième partie ne pouvait pas l'atteindre, NETS-CHAIEFF ayant écrit sa lettre à son insu.

MARX, n'ayant pas réussi à faire de BAKOUNINE un agent du czar, malgré l'aide qu'il avait trouvée à cet effet dans la diplomatie russe, n'ayant pas non plus réussi à le transformer on faux-monnayeur, voulut au moins le faire passer pour un escroc, employant même l'intimidation et le chantage pour arriver à ses fins. Ici encore il échoua misérablement dans sa lâche et indigne tentative, car BAKOUNINE conserva jusqu'à sa

(1) NETTLAU II, 383, note 1936. On n'a pas jusqu'ici de détails sur cette affaire L. - Le "Capital" fut traduit par M. LOPATIN.

mort 1'amitié la plus vive, l'estime la plus complète de la part de ses compatriotes et de tous ceux qui, dans l'Europe occidentale, ayant eu le bonheur de pénétrer dans son intimité, combattirent avec lui le bon combat de la liberté contre le despotisme.

Victor DA.VE.

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Si une erreur quelconque s'est glissée dans le texte, nous vous demandons de bien vouloir nous en excuser.

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a tmti qu'it sort rfroliitiormaire. il doit comprendra cjuune s» complète et si redi-ce* transformation de ta société, devant nécessairement entraîner I» immn do tous Krs privilèges do tous los monopole» do tous >«s pouvoirs constitués, no pourra ra-turetfement pas s effectuer par des moyens pacifiques. — Que. pour la mémo raison, eue aura contre etfe tous tes puissants, tous tes riches, et pour elle, dans tous les pays, le peuple seulement et encore cet* te partie «ttettigente et vraiment noble de la jeunesse qui. quoique appartenant par la naissance aux classes privilégiées. par ses convictions généreuses et ses ardentes aspirations. embrasse la cause do peuple.

M doit comprendre que cotte révolution qui aura pour but unique et suprême l é-mancipabon réelle. potoiQue. économique et sociale du peuple, aidée sans doute et organisée en grande partie par cette jeu* •esse, no pourra se faim on dernier lieu que par le peuple. Que toutee les autres questions, religieuses, nationales. politiques ayant été complètement épuisées par I histoire, il ne reste plus aujourd'hui qu une seule question, dans tsqi^fle se résumé* toutes les autres et ta seule désormais capable de remuer les peuples -la question eoriafe.

kâ. BMounirti.

(N VENTE

LIBRAIRIE PUBLICO

3ftUE T11NAUX P A R I S [11] CCP PARIS 111 SU S

1  Julius 2R0EBEL, Bin Lebenslauf, II, 36.

2  NETTLAU II, 384 - La Liberté, n° 13 octobre 1872.