les raisons de ta colère

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Pour le passage de la décomposition à des constructions nouvelles

"Le projet révolutionnaire de nos jours oomparaît en accusé devant l'histoire s on lui reproohe d'avoir échoué, d'avoir apporté une aliénation nouvelle . •• La révolution est è, réinventer,voilà tout*

(internationale Situationniste, n° 6)

La part réellement vivante de la lutte révolutionnaire, et qui rend son sens profond incompréhensible à tous les révolutionnaires en peau de lapin, o' est la lutte que mène chaque prolétaire oontre son auto-aliénation au système existant et la reproduction de celui-ci dans des formes plus subtiles.

C'est la tactique même de la critique de la vie quotidienne et de la pratique de la théorie qui oommenoe toujours chez soi.

Dans cette optique, il est clair que l'agressivité que les révolutionnaires mettent dans leur vie est avant tout dirigée oontre leur propre complaisance envers cette société et que ce n'est oue lorsqu'une telle autoagressivité existe que peut commencer d'exister une ori-tiaue anti-idéologique de la globalité de la société.

C'est donc finalement toujours en second lieu et de fait que l'on critique les gens totalement soumis aux conditions dominantes, à l'aliénation objective, ou ceux qui, même, s*en font les chiens de garde.

C'est ce qui à la base distingue le projet du prolétariat moderne du mythe léniniste de la révolution et é-carte de ce projet les gens qui s'ignorent eux-mêmes et ne peuvent conséquemaent pas comprendre le monde où ils vivent •

le.'*.

La conscience de la misère ne peut cependant pas être une connaissance de : la misère séparée de celle de son dépassement, une idéologie de 1* aliénation prolétarienne*

L'idéologie de l'auto-aliénation prolétarienne est coupée 1°) de la conscience qu'il est possible de vivre autrement et 2°) des forces historiques porteuses d'une révolution totale.

C'est le projet individuel qui s'est réifié en individualisme t en idéologisant la connaissance de son aliénation, en perdant de vue son rapport réel à sa complaisance envers l'aliénation, on finit par se couper subjectivement et complètement des autres prolétaires.

Parce que 1*individu dans une demi-honnêteté s'imagine se_ connaître alors qu'il ne connaît que sa misère, il voit et isole chez les autres leur misère seulement. La connaissance de soi n'est jamais la simple connaissance de sa misère, qui n'est rien d'autre que la volonté de ne pas dépasser son aliénation, de ne pas changer.

Un isolement spectaculaire commence qui débouche aussitôt sur une attitude métaphysique devant la vie t dans sa différence autrui ne peut plus être traité autrement qu'en étranger : absolu ("l'enfer c'est les autres"), en simple ennemi de la réalisation individuelle, alors qu' il en est en vérité un moment nécessaire.

L'individualisme a ceci de démystifiant qu'il affirme la subjectivité face au mensonge d'une objectivité et d'une vérité extérieure destinée à juger et gouverner les gens. Mais il accepte les séparations sociales et les renforce : autrui est un objetj les intérêts et les goûts sont éternellement antagonistes et totalement chaotiques! l'individu est abstraitement opposé à la société.

La pratique de la théorie suppose l'affirmation indivl-duelle dans le mouvement même d'abolition des divisions entre les gensj elle fonde aa cause sur le goût et la volonté de réaliser enfin la communauté des individus — ce qui n'a, au passage, rien à voir avec les "expériences communautaires" ou autres collectivités qui naissent et disparaissent ici ou là.

»

Alors que le "travail du négatif", selon cette formule fameuse, exige une part de vie et d'activité pooitives mêmes ainsi qu'une oapaoité d'engagement spontané et non oalculé dans les relations vécues, celui qui ne connaît que la misère sans son dépassement ne peut trouver qu'à leur substituer cynisme et mépris.

N'en déplaise au "relationisme" des contestataires et à leur positivisme en général, qui traduisent leur besoin de constamment solliciter les autres et d'en être appré-oiés, il y a des raisons négatives de mener des relations. Elles sont l'expression de l'intérêt et de l'initiative individuels, on y ohoisit son attitude, oe que les ennemis de l'intelligence ne peuvent pardonner.

Mais il est également nécessaire que cet aspect tactique et lucide qui permet le recul oritique n'émousse pas la spontanéité et n'exclue pas l'engagement sans arrière pensée.

C'est précisément cette aptitude — totalement idéologi-sée par la contestation moderne qui en fait une exigence désincarnée — qu'a perdue celui qui connaît la misère mais sans son dépassement. Il se prend bientôt pour 1' "homme d* expérience", celui qui "en a trop vu", qui "oonnaît les hommes", mais dont la lucidité s' est en réalité égarée en s'accumulant.

Ce négativiste donne de la valeur à la consoience) il ne oritique pas l'aliénation, il promène sur elle le regard chirurgical de 1'analystej il est le spécialiste de la misère, du oaraotère inattaqué. Il n'agit plus qu'an fonction du savoir-faire et de la connaissance des hommes qu'il croit savoir tirer de ses expériences passées.

IX finit par ressembler à ces "moralistes du XVI° et XVII0 siècles régnant sur une resserre de banalités" (Yaneigem) et dont les trouvailles . n'ont jamais excédé celles du mythe de la "nature humaine" inamovible et anti-historique. A leur image, il n'est finalement concerné par les hommes que pour les gouverner et trouver les "lois" des comportements par lesquels ils se soumettent. C'est pourquoi le moraliste est le politicien de la vie quotidienne,

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Contrairement au* illusions d'un "théoricien de la vie quotidienne" tel qu'un Lefebvre par exemple, la question n'est pas d'abolir la scission entre le politique et le quotidien; il s'agit que la politique soit oritiquée à l'intérieur même de la vie quotidienne, d'où elle est partie, pour seulement ensuite venir dominer cette vie quotidienne sous la forme de l'Etat, des partis et de toutes sortes de représentations,

La critique des politiciens et de la politique ne saurait donc se limiter à une grossière charge anarchisanté des "hommes politiques"! elle ne prend son sens entier que dans son application dans la vie m8me aux politiciens de la vie quotidienne, comme elle l'a déjà été à ceux de 1'organisâtion«

La politique de et dans la vie quotidienne est la dernière expression possible de l'Etat, c'est à dire la vie quotidienne et ses rapports menés d'une façon oomparable à celle dont on mène un Etat, ou une affaire commerciale ce qui revient au môme. Et ce n'est pas un hasard si o'est au moment où la vieille politique séparée ne parvient plus à s'imposer aux gens et à les faire marcher qu'elle cherche à se maintenir, cette fois, dans la quotidien lui-même. .

Il faut donc cesser de comprendre la "politique révolutionnaire". oomme elle voudrait qu'on la comprenne c'est h dire dans la soi-^diaant lutte qu'elle propose de mener contre la société dominante, qui n'est que la justification extérieure de la nécessité de son existence i la politique est moins un rapport entre deux campe opposés

que surtout un rapport à l'intérieur de ohaque camp.

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A l'opposé de la fausse conscience chosifiée et chosi-fiante du moraliste et du politicien, la théorie n'a au-oun préjugé, optimiste ou pessimiste, favorable ou défavorable, face aux gens et au monde.

Elle renouvèle la capaoité individuelle d'expérimenter, elle ne l'assèche pasf elle est une critique de la mentalité moraliste et des conditions matérielles qui la font naître autant que du présupposé judéo-ohrétien inverse qui ne voudrait voir que le "bon côté", la riohes-se de la réalité.

La théorie ne tend pas à la création néo-stalinienne d' un homme nouveau, mais va dans le sens de l'homme total de Marx, de 1*1.S. et de tous les révolutionnaires.

Elle est un effort permanent de la subjectivité réelle

de l'homme, de l'homme réellement subjectif.

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C'est bien parce que les questions essentielles de l'égalité et de l'absence de hiérarchie se posent en premier lieu dans la vie quotidienne, et pas seulement dans la politique et 1* organisation, et parce que le caractère est l'expression des volontés complémentaires de domination et de soumission dans les rapports humains qu'on ne peut se contenter de oontempler les cristallisations caractérielles qui surgissent entre les uns et les autres.

Dans leurs complicités comme dans leurs oppositions , les caractères se renforcent; ohaque caractère prétend juger l'autre alors que dans leur "opposition qui constitue aussi pour ohacun la part la plus conséquente et la plus radicale de son apport apparaît 1' insuffisance interne de leur oritique développée par l'un comme par l'autre d'un seul côté.'1

Mais aussi, celui qui essaie de "dissoudre son carao-tère" dans les conditions existantes mêmes s'aperçoit vite qu'il est en train en fait de dissoudre... une partie de lui-même; des qualités subjeotives incontestables passent pour des traits malsains, et réciproquement.

Mais on peut toutefois faire une distinction claire en-tre intelligence théorique et intelligence du oaractère, c'est à dire 1' "intelligence caractérielle".

La théorie ou l'intelligence caractérielles ne sont pas autre chose que le caraotère devenu intelligent, autonome, capable de se défendre et de défendre les comportements et le système d'intérêts de l'individu.

L'intelligenoe du caractère — qui ne peut être ramenée à une simple idéologie — fonctionne ainsi s "je ne peux pas me tromper puisque je pars de moi-même, de ma propre subjectivité."

Elle est donc dans un premier temps une critioue de 1' extériorité} mais elle s'aliène dans un second temps à cette critique même en perdant la faculté de s'objectiver » pour elle, tout recul par rapport à elle-même est une intervention d' une vérité étrangère, abstraite, aliénante s c'est dans oette orainte même qu'elle cesse de pouvoir contenir sa propre critique.

Si " à l'esprit est inhérent le besoin de reconnaître oomme la vérité vraie celle qu'il découvre à l'intérieur de lui-même" (Hegel), l'intelligenoe du caractère et son produit se posent oomme totalités accompliesidans la mesure où ils deviennent conscients d'eux-mêmes, ils ne tolèrent plus la présence d'auoune autre opération! ils abolissent la chose à laquelle ils se réfèrent, anéantissent l'objet extérieur pour se poser oomme uniques

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valeurs.

Alors que l'intelligence idéologique se développe d'une manière séparée et autonome, que l'individu y opère par refoulement et auto- dépréciation de son point de vue personnel, dan6 l'intelligence du caractère, l'individu est autonome vis à vis de tout excepté de lui- même; c'est l'individu et la pensée Imbus d'eux-mêmes et aliénés à eux-mêmes.

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La théorie du prolétariat est aussi une théorie du dépassement de la misèret la critique de l'aliénation implique d'être capable de voir et de défendre les qualités humaines réelles qui se dégagent déjà de la misère, bier. que rares, morcelées, fugitives et souvent écrasées dans l'isolement.

Théoriouement et pratiquement, une des tâches est de "faire apparaître le terrible contraste entre des constructions possibles de la vie et sa misère présente." (1.3., n° 6)

(Un apport théorique aussi important que celui de l'I.S. aurait d'ailleurs été impossible s'il n' avait contenu une théorie générale du dépassement, déterminée et valable pour sa période historique donnée. Le Traité de Savoir-vivre, qui est l'exposé le plus connu et le plus simpliste du projet situationniste positif d'une société sans classes, "a seulement ouvert la route. L'anti-utopie est un territoire inconnu dont jusqu'à présent personne n'est revenu. C'est elle, rendue .possible sur la base de la société moderne, oui doit compléter les "insuffisances" de Marx aussi bien qu^elle doit être elle-même rendue dialeotique et trouver un emploi pratique." Salvadori, Débat d'Orientation de l'Bx-I.S.)

Ce ne sont donc pas le style ni la substance catastro-phistes, toujours plus ou moins littéraires ou hypocrites, que croit bon d'adopter parfois la. "critique" qui

a

constituent l'apport le plue intelligent et le plue profondément subversif.

Et encore moins une définition du mouvement Qui se voudrait entièrement négative — négativiste — et qui serait une nouvelle forme de malhonnêteté idéologique, la maladie eénile d'un projet abandonné au déearroi et à la décomposition, qui sont aussi bien ceux du vieux monde lui-même.

Ceoi reviendrait simplement à entériner la période actuelle dans laquelle "les possibilités d'un changement central désirable" sont maintenues dans la oonfusion la plus intéressée.

Correspondance t Joël Cornuault B.P. 167

75064 Paris Cedex 18

les raisons de la colère

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1  Les Evénements Courants> par Joël Cornuault

I»p. Spéciale

Dépôt légal 1 1er trim. 19JÔ