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LE COMBAT SYNDICALISTE

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Indispensable clarification

LE COMBAT SYNDICALISTE

1976

La, réalité

L'ancien monde, en ce dernier quart de siècle, est en ébullition incessante, en mutation désordonnée. Il cherche à surmonter les contradictions qui le déchirent.

La social-démocratie échoua dans ses efforts pour réformer la société capitaliste per des demi-mesures, par des rapiéçages, sans toucher aux principes fondamentaux d'exploitation et d'oppression de l'homme par l'homme.

Le fascisme échoua, à son tour, dans la tentative brutale de sauver les structures véreuses du libéralisme traditionnel, en instaurant la prédominance du pouvoir politique sur le pouvoir économique inextricable du capital. H s'arrêta à mi-chemin vers le capitalisme d'Etat.

Le bolchevisme, visant, en principe, r émancipation du prolétariat, essaya l'intégration de l'esclavage humain par l'instauration totale du capitalisme sous sa forme suprême d'étatisation de l'économie et de toutes les manifestations de l'homme. Et il donna la preuve éclatante de l'incapacité de l'Etat en tant que gestionnaire de l'économie, dans le but d'assurer le bien-être des hommes, en supprimant leurs libertés élémentaires.

Les tentatives de la social-démocratie Incolore, du fascisme barbare et du bolchevisme jésuitique, en crise interne aujourd'hui, ne cessent pas, pour autant, leurs efforts, dans une compétition incohérente, tout à la fois se combattant et s'alliant mutuellement, mais demeurant toujours fidèles aux principes de domination et d'exploitation.

En même temps, l'aspiration inhérente à tout homme au mieux-être, à la plus large liberté et à la plus grande justice, son esprit de révolte contre toute oppression, favorisée par l'extraordinaire progrès scientifique et technique et par l'évolution générale, poussent, inexorablement à la recherche des meilleures formes de rapports sociaux.

Ainsi, les concepts de liberté, de respect de la personne humaine, de dignité de l'homme, de solidarité, d'universalisme, d'internationalisme, constituant les fondements mêmes de l'anar-chisme et de son apport original à la philosophie sociale, malgré de multiples entraves, gagnent du terrain et pénètrent de plus en plus profondément dans la conscience de l'homme contemporain. La conception libertaire, dans le sens large du terme, s'étend et se généralise progressivement. Une analyse minutieuse de cette évolution de l'esprit, dans tous les milieux sociaux et politiques, laisserait l'impression que l'anarchisme est constamment « volé », même par ses pires ennemis et qu'il est en train de se réaliser par la* vole évolutive.

Une telle analyse établirait que cette évolution vers un anarchisme imprécis et vague s'effectue sans la participation directe et active des libertaires et de leur mouvement organisé, qui marque un grand retard dans ce développement.

En effet, l'anarchisme organisé, facteur actif de révolution du monde, en mutation constante, est presque absent en ce dernier quart de siècle. Les causes externes et internes de cette semi^absence sont nombreuses; je ne me propose pas de les examiner ici, dans la série d'articles qui suit. Je voudrais seulement mettre les points sur les i et l'accent sur les démarches nécessaires et de caractère interne qui permettraient à l'anarchisme social et révolutionnaire de rattraper son retard pour jouer le rôle qui lui incombe historiquement.

La transformation radicale de la société est-elle historiquement inéluctable ?

La société actuelle — aussi bien celle du capitalisme privé et de l'Etat bourgeois, que celle du capitalisme d'Etat et de l'Etat soi-disant socialiste — repose sur les principes de domination et d'exploitation, qui entraînent des contradictions, des conflits, des luttes de classes — économiques, politiques et sociales.

Cette constatation objective, en ce qui concerne le monde capitaliste, ne soulève et ne saurait soulever aucune contestation raisonnable. Les contradictions, non seulement à l'intérieur de n'importe quel Etat national, mais entre les différents Etats sont une réalité. Oeux-ci ne réussissent jamais à établir un accord permanent entre eux et à surmonter les conflits qui les opposent et les conduisent sou-

vent à des conflits armés. Les luttes politiques, parfois acharnées, les grèves, les attentats, attaques de banques, prises d'otages, coups d'Etat, révoltes, insurrections et les révolutions en sont les preuves irréfutables.

La même constation pour les sociétés appelées socialistes avec un capitalisme d'Etat et le pourvoir exclusif d'un seul parti, se maintenant par la force et par la dictature, est moins évidente; elle est contestée surtout par les défenseurs de ce régime. En réalité, tous les signes distinctifs de l'exploitation (ne parlons pas de l'oppression) du capitalisme sont présents et y persistent : la plus-value, le profit, l'inégalité flagrante des salaires, etc., signes distinctifs de toute société de classes basée sur les privilèges, garantie par la loi et par la puissance répressive de l'Etat, disposant des appareils correspondants : police, magistrature, prisons, armée, etc. La seule différence avec la société du capitalisme privé réside dans le fait que la nouvelle classe privilégiée, constituée par le parti et la bureaucratie dominante et jouissant d'une partie des profits réalisés par l'exploitation des travailleurs, ne possède pas, de façon directe, des moyens de production. Mais, socialement elle n'est nullement différente.

Les conflits politiques à l'intérieur des Etats ne sont pas si visibles parce qu'ils sont étouffés par la dictature, par la censure et par le manque de liberté d'expression. Cependant, la dictature réussit moins facilement à cacher les conflits économiques au sein des entreprises où les grèves existent et se manifestent violemment, surtout lors des crises aiguës dont les exemples flagrants sont les diverses révoltes bien connues dans les pays satellites de l'URSS. Quant aux contradictions, à l'opposition et aux conflits entre les Etats, s'inspirant de la même idéologie marxiste-léniniste, ils sont si évidents qu'il est superflu d'y insister.

Donc, la persistance des contradictions, des conflits et des luttes sociales au sein des deux types de sociétés contemporaines dont la solution reste impossible prouve que la transforma-ion sociale radicale est une nécessité indispensable et historiquement inéluctable.

D'ailleurs, le fait que les hommes politiques les plus conservateurs et réactionnaires, les hommes de la droite, dans les pays capitalistes, parlent, démagogiquement, bien sûr, de « changement », de «société nouvelle » constitue une preuve que cette nécessité est ressentie. Dans les pays « socialistes », et en premier lieu en URSS, où la réalisation du socialisme traîne depuis plus d'un demi-siècle et où l'établissement artificiel, sur le plan de la doctrine, des diverses phases : « passage du capitalisme au socialisme », « édification du socialisme », <c étapes du socialisme élargi », « édification du communisme », est une autre preuve de la nécessité d'une transformation radicale de la société en place.

La transformation sociale pourrait-elle se réaliser exclusivement par la voie évolutive et

pacifique ?

U n'y a aucun inconvénient, pour nous, révolutionnaires. de reconnaître qu'une certaine transformation sociale progressive s'effectue par la voie évolutive et pacifique.

En effet, les luttes de classe, l'esprit de révolte de l'homme contre les répressions politiques, sociales et morales des structures imposent des concessions et des replis de la part des classes dominantes et des défenseurs de l'ancienne société. Les progrès scientifiques et techniques, l'élargissement de la culture par l'instruction et l'éducation de toutes les classes facilitent l'évolution générale et poussent, bien que lentement, vers une transformation de la société. Ce processus d'évolution ne suit pas une ligne continue, droite et ascendante, il prend la forme d'une vague avec ses hauts et ses bas, ses avances ou élans et ses arrête et reculs, mais, en définitive, sur une période plus longue, des changements essentiels et progressifs interviennent.

S'il ne s'agissait que de faire une propagande routinière et peu intelligente, nous ne dirions pas que le travailleur et l'homme en général, vit, aujourd'hui» au moins matériellement, mieux qu'au siècle précédent et au début de ce siècle.

Mais, lorsque nous examinons plus en détail et en profondeur toutes les réformes et tentatives, même les mieux intentionnées d'amélioration du milieu social, nous constatons qu'elles aboutissent à des obstacles insurmontables, liés aux structures existantes dont la suppression s'avère absolument indispensable, afin d'atteindre le but recherché. Et cette constatation concerne non seulement les grandes et les bouleversantes réformes, mais des mesures de moindre importance.

Prenons, à titre d'illustration, quelques exemples actuels : la lutte contre l'alcoolisme, le tabagisme, la pornographie, les difficultés du Marché commun, l'unification de l'Europe, la limitation des naissances, etc.

L'alcoolisme est un phénomène complexe, plus complexe que le tabagisme et la pornographie, mais les difficultés de la lutte contre ces phénomènes sont, avant tout, de caractère économique, matériel.

Je suis loin de l'intention d'affirmer que les vices, tous le6 vices de l'homme, sont entièrement déterminés par le milieu social et qu'avec la transformation de celui-ci, ils disparaîtront soudainement. Mais tant qu'il y a des intérêts matériels favorisant leur existence, la lutte contre eux sera inefficace. C'est d'abord l'Etat qui est le plus intéressé à l'existence de ces vices, car il en tire des avantages par les impôts dont l'augmentation n'est qu'un moyen d'exploitation des vices.

Le Marché commun, ainsi que l'unification de l'Europe, est une nécessité pour le monde actuel, et tôt ou tard ils se réaliseront. Mais cette réalisation sera plus •facile lors ou à la suite d'événements profondément révolutionnaires, quand les structures craquent, qu'en période de relative paix sociale.

Les consommateurs français ont l'intérêt d'acheter à de plus bas prix des vins, des légumes, des fruits sans s'intéresser à leur origine. Par contre, les producteurs français ont raison de demander l'interdiction ou la limitation de l'importation de ces produits, afin d'éviter la concurrence et la baisse des Prix. Les producteurs agricoles italiens, par exemple, à leur tour, ont tout à fait raison de vouloir exporter en France, afin d'écouler leur production.

Mettons-nous à la place des gouvernements « frères » de ces deux pays. Quelle solution juste et viable pourrions «ious donner à ce problème, en dehors d'une transformation de la société en France et en Italie, de l'unification des deux peuples, en supprimant le capitalisme et la contradiction des intérêts et en appliquant une planification qui diminuerait, si c'est nécessaire et raisonnable, les surfaces plantées en vignes, remplacées par d'autres cultures, ou en orientant l'exportation vers d'autres pays pour satisfaire les besoins réels de ces pays en distribuant même gratuitement.

La limitation des naissances est aussi, une nécessité, selon les études sérieuses de la science démographique. Mais comment l'appliquer dans l'état actuel de cette ridicule parcel-lation nationale qui s'aggrave toujours par la création de nouveaux Etats indépendants où la politique démographique est nécessairement en contradiction entre les pays riches et puissants et les pays sous-développés et aspirant, eux aussi, à une domination dans ce monde de division absurde ?

Donc, même la solution de ces problèmes secondaires s'avère impossible, dans le cadre d'une société qui ne se transforme que par la voie évolutive et pacifique.

La révolution s'impose, mais qui l'effectuera ?

Il s'agit d'une révolution radicale, la révolution sociale. Mais qu'est-ce que la révolution sociale ?

Le terme révolution, bien qu'ayant perdu, par l'usage abusif, son véritable sens, continue

effrayer les bons et doux esprits à tel point qu'il se trouve, même parmi nous, des personnes se déclarant contre la révolution et pour la transformation pacifique de la?«ociété.

Qui saurait être raisonnablement adversaire d'une telle transformation pacifique,, si elle était vraiment possible !

Je ne veux pas me lancer dans une argumentation byzantine facile à soutenir, selon laquelle la violence révolutionnaire est de caractère exclusivement défenslf et que la respon-sablité en revient au régime qui ne veut pas céder pacifiquement.

Il est incontestable que chaque révolution, même la moins violente, est accompagnée d'actes violents, plus ou moins injustifiables et toujours repoussants pour les êtres sensibles et inspirés d'un idéal humainement élevé.

Cependant, ce qui caractérise la révolution véritablement sociale, ce n'est pas la violence, même minime, c'est son caractère radical, c'est èrdire la suppression des institutions d'exploitation et d'oppression. Sans une telle suppression, les massacres les plus sanglants ne serviraient à rien et ne donneraient pas droit à qualifier comme révolution toute explosion de haine.

A qui revient ce rôle historique profondément transformateur et rénovateur, cette destruction de toutes les structures sociales oppressives, cette révolution sociale ?

Naturellement, ce sont avant tout les exploi-ttét» et les opprimés, ceux qui souffrent le plus dea injustices sociales qui sont intéressés à la révolution. La célèbre expression : « L'émancipation des travailleurs doit être leur propre œuvre » est«toujours valable.

Ce raisonnement est simple et tout à fait logique. Mais 11 demande un correctif, un complément : l'Indispensable prise de conscience de la classe ouvrière, dans son ensemble, car les souffrances qu'elle endure de l'existence de l'exploitation et de l'oppresslom ne sont pas suffisantes pour déterminer automatiquement une attitude correspondante vis-à-vis de la révolution sociale, de son caractère libérateur, des méthodes et des moyens à employer, conformément au but poursuivi.

Noms savons bien que la révolution sociale ne sera pas accomplie par les théoriciens, les idéologues, ni par ceux qui écrivent des articles et répandent les idées révolutionnaires, mais leurs apports et leur participation indirecte ou directe ne pourraient être exclus, même si leur appartenance sociale ne détermine pas nécessairement l'adhésion inconditionnelle à la révolution.

La participation à la révolution des personnes imses par des considérations morales, spirituelles et purement humanitaires est souvent plus importante et plus effective que celle des exploités et des opprimés les plus écrasés par leur situation sociale d'abrutissement, de misère et d'ignorance.

La jeunesse, surtout la jeunesse estudiantile, sans être une classe sociale nettement délimitée et stable, pourrait être, elle aussi, un facteur important dans l'accomplissement de la révolution sociale. L'histoire des luttes contemporaines nous fournit des exemples très con cluants à cet égard.

Donc, tout simplisme dans ce domaine s'avérerait néfaste.

Le rôle des idéologies. L'anarchisme est-il un

idéal die classe ?

Les idéologies et les groupes qui les représentent jouent un rôle important dans les luttes sociales. L'existence des idéologies, les différences et les luttes entre elles, la différenciation toujours plus profonde qui s'accomplit continuellement dans leur confrontement, divise les les milieux intéressés et destinés à effectuer la transformation sociale et complique la réalisation de cette tâche.

L'anarchisme a joué, joue, et jouera demain plus encore son rôle dans les luttes sociales et dans la transformation du monde.

La question importante qui se pose est de savoir si ranarchlsme est un idéal de classe.

Il fut un temps, surtout entre les deux guerres, où cette question a été largement débattue dans nos milieux. Je ne suis pas sûr de pouvoir faire un apport original et essentiellement nouveau à ce débat, mais j'estime que certaines précisions sont nécessaires pour clarifier les discussions qui commencent à s'engager de nouveau, comme s'il y avait vraiement des changements qui les rendent utiles aujourd-hui.

Il existe des anarchistes, moins nombreux certainement, qui renient presque la réalité des classes et pour qui l'humanité est une entité indivisible. Cette humanité aurait besoin d'un idéal hautement élevé que, seuls les hommes d'élite, les anarchistes en l'ocurrçnce, sont capables de lui donner. Pour ces anarchistes, l'anarchisme est pur humanisme dont la réalisation ne s'appuie pas sur les luttes de classe; elle ne s'effectuera que par des hommes parfaits.

D'autres anarchistes, par contre, réduisent la conception humanitaire de l'anarchisme à un simple idéal de classe, la classe ouvrière notamment. Us prétendent s'appuyer exclusivement sur ses luttes pour aboutir à l'émancipation sociale.

Ce point de vue trop rétrécissant a été introduit, d'abord, par lç syndicalisme révolutionnaire à la fin du XIXe siècle, et réactualisé dans les discussions à la suite de la publication de la « Plateforme d'Archinov », en 1926.

De jeunes camarades, dégoûtés quelque peu et avec raison d'un certain immobilisme, ont redécouvert la fameuse plate-forme, et sans prendre une connaissance suffisante des discussions qui l'ont suivie ou sans les approfondir, ont accepté cette plate-forme comme leur propre déclaration de principes. Ainsi, avec une légèreté inexcusable, un demi-siècle plus tard, ces camarades ont proclamé le caractère clas-siste de l'anarchisme comme une grande acquisition.

La réponse à la question posée serait facilitée par la réponse préalable à une série d'autres questions, à savoir : Y a-t-dl des classes sociales homogènes et strictement délimitées? Quelles sont ces classes ? Ont elles chacune leur propre idéal? Quels sont ces différents idéaux? et enfin, à quelle classe sociale l'anarchisme peut-il servir d'idéal ?

Selon la définition socialiste classique, la société actuelle est divisée en deux classes : la bourgeoisie et le prolétariat. Mais en poussant l'analyse plus loin, on se voit obligé de reconnaître certaines subdivisions. La bourgeoisie est divisée en grande, moyenne et petite bourgeoisie. La paysannerie constitue une classe à part, subdivisée, elle aussi, en gros, moyens et petits propriétaires; les ouvriers agricoles, sans terres, sont mis généreusement dans la catégorie du prolétariat. Les marxistes-léninistes ont promu en classe « l'intelligentsia laborieuse », complétant ainsi les deux classes dont l'existence est reconnue dans les pays « socialistes » : les paysans et les ouvriers. Je n'irai pas plus loin pour faire observer et prouver que la classe ouvrière à notre époque, dans le monde capitaliste, ne se distingue guère par une homogénéité particulière.

Devant cette diversité des classes et de leurs divisions, qui peut indiquer avec précision quel est l'idéal social de chacune d'elles?

Les couches sociales constituant la bourgeoisie en tant que classe, malgré ses subdivisions, ont un idéal presque commun, si les intérêts matériels grossiers pouvaient être appelés idéal : conserver, sauvegarder la société du capitalisme privé et éviter la révolution. Mais au sein de cette classe hétérogène, même parmi la grande bourgeoisie, se trouvent des individus qui adhèrent aux différents courants socialistes et partagent leur idéal.

La division au sein des salariés qu'il est impropre désormais d'appeler prolétariat, bien que nous continuions nous-mêmes de nous servir de ce terme dans la propagande courante, est moins nette et la solidarité dans les luttes sociales est possible, mais, y a-t-11 un idéal social commun qui se manifeste, soit au cours des luttes revendicatives, soit par l'aspiration constante vers une société déterminée?

Plusieurs conceptions philosophiques et sociales se partagent la classe ouvrière; il y a aussi des ouvriers sans aucune conception qui, tout en étant exploités et opprimés, sont liés par leur désorientation et leur ignorance au régime en place, à la bourgeoisie, à l'église. Parallèlement aux anarchistes, cohabitent au sein des travailleurs, les marxistes divisés au moins en une dizaine de tendances et de fractions.

Qui donc, peut sérieusement affirmer que cette classe ouvrière a un idéal commun, et que cet idéal est justement l'anarchisme ? Non ! la vérité claire et simple est que l'anarchisme est un idéal des hommes libérés de tout préjugé autoritaire, aspirant à l'émancipation totale des travailleurs et des hommes, en général, de l'exploitation, de la domination, de l'ignorance, et des préjugés quels qu'ils soient.

Mais, pour sa réalisation, et Pour l'accomplissement de son rôle libérateur, l'anarchisme s'appuie et s'appuiera toujours sur les opprimés et les exploités, la classe ouvrière, en un mot, en inspirant leurs luttes revendicatives et rév<v lutionnaires. Et rien de plus.

L'orgainlsatioii anarchiste structurée est-elle compatible avec les principes libertaires?

H y avait, autrefois, quoiqu'il paraisse absurde actuellement, des anarchistes ennemis de toute organisation, du principe même d'organisation. Us déclaraient ouvertement cette conception, considérant qu'elle était l'apogée de l'anarchisme.

Aujourd'hui, on a inventé un terme qui aide les adversaires de l'organisation : organisation « structurée », cible de cette négation du principe même d'organisation.

Ces sociologues à la petite semaine n'ont pas appris, ou ont oublié que les principes fondamentaux de l'anarchisme sont la liberté, l'égalité et la solidarité. La solidarité dans la vie sociale d'aujourd'hui et de demain, ainsi que dans les rapports entre anarchistes se réalise par le oontrat, conception exprimée par Prou-dhon, partagée par Bakounine, développée scientifiquement par Kropotkine et tous les théoriciens de l'anarchisme social et pratiquée dans l'ensemble du mouvement anarchiste depuis plus d'un siècle. Les termes « contrat libre, » « libre accord », « libre entente », sont bien connus par tous ceux qui ont étudié l'anarchisme.

Donc, sans contrats, sans accords librement établis et correctement respectés, il n'y a pas de vie sociale, 11 ne peut exister de société et l'anarchisme lui-même est impensable.

Mais que signifie organisation? Et que veut dire le terme « structurée »? Quel impératif rend nécessaire l'organisation anarchiste structurée et permanente?

L'organisation, dans le sens le plus large, signifie groupement, union, solidarité à base d'engagements mutuels librement établis . ou consentis.

Cette organisation, pour les anarchistes, se basant sur les accords, est édifiée par le regroupement des individus partageant les mêmes conceptions, selon leurs affinités, ou localement, par quartiers, pour les grandes agglomé* rations, quelquefois par entreprises, fédérées à l'échelon administratif ou géographique : arrondissements, cantons, départements, réglons, pays et enfin en une Internationale, si la nécessité est ressentie et si les conditions le Permettent.

Voilà la structure qu'une organisation anarchiste peut avoir, afin de coordonner et rendre plus efficaces les activités des militants libertaires : la propagande, les luttes, la défense mutuelle, l'entr'aide, la mise en pratique des décisions prises par les réunions sur place et par les congrès correspondants.

L'existence d'une telle organisation, répondant à la nécessité de s'opposer globalement à la société dont elle se propose la reconstruction est entièrement compatible avec les principes libertaires, respectés par cette structure fédéraliste, par son fonctionnement dans la liberté et dans la solidarité volontairement consenties.

Spécialisation et dispersion o>u Intégration des objectifs et concentration des efforts?

Dans certains pays occidentaux, où le principe d'organisation est accepté et où les libertaires sont organisés, sous une forme ou sous une autre, une spécialisation poussée est devenue traditionnelle et la dispersion des initiatives est considérée comme la plus pure réalisation de la libre initiative, du fédéralisme et de la mobilisation la plus efficace des énergies Individuelles.

Ainsi, la libre initiative manifestée par la multiplicité des publications, ce qui représente une dispersion d'énergie, des moyens et de la collaboration, est considérée comme une richesse, alors qu'elle n'est, en réalité, qu'un affaiblissement du mouvement.

Dans les pays où les conditions favorables pour la publication, au moins, d'un hebdoma* daire bien fait existent, paraît grand nombre de petits journaux éphémères satisfaisant souvent les ambitions de modestes journalistes et propagandistes. Cette manière d'avoir son propre « canard » — je ne trouve pas une qualification plus appropriée — est même « théoriquement » encouragée, sans se rendre compte combien elle nuit au mouvement libertaire, à une bonne propagande.

La spécialisation exagérée est une autre caractéristique des libertaires de ces mêmes pays, spécialisation étroite qui contribue énormément à la stagnation de notre mouvement. Tout en acceptant l'organisation anarchiste, au lieu de se spécialiser dans les activités à son intérieur, les militants créent des groupements indépendants qui se proposent des objectifs de propagande et de lutte limités et étroitement spécial!, sés en croyant que les résultats seront meilleurs. Cette spécialisation concerne l'antimilitarisme et le pacifisme, l'anticléricalisme, l'abondan-ti&me, le néo-malthusianisme, etc.

Certains de ces groupements réussissent et prennent des dimensions beaucoup plus importantes que l'organisation spécifiquement anarchiste. Mais, par la dispersion des efforts et des moyens, ils affaiblissent le mouvement libertaire général, au lieu de le renforcer et de lui donner la cohérence d'un mouvement social et révolutionnaire qui pèserait dans les luttes sociales.

Pour certains libertaires — je le dirai en pleine franchise — les activités dans ces groupements spécialisés servent d'alibi pour leur abandon réel de l'anarchisme et du mouvement libertaire.

Un changement fondamental de mentalité, de comportement, d'habitudes, est absolument indispensable afin d'assurer la renaissance et le développement de notre mouvement.

Non à la dispersion et à la spécialisation en dehors de l'organisation. Intégration des objectifs de propagande et de lutte. Réunion des forces et concentration des efforts. Voilà la voie à suivre pour le renforcement de l'anarchisme et pour sa victoire.

L'organisation spécifiquement anarchiste pourrait-elle être une organisation de masses?

L'organisation anarchiste est un groupement, un rassemblement des militants, basée sur l'identité idéologique de ceux qui la constituent. Son but est la diffusion des idées libertaires, leur développement, leur enrichissement, leur perfectionnement et leur défense, afin d'orienter la transformation sociale vers la réalisation du communisme libertaire. Son rôle social est de contribuer à l'éducation des masses populaires dans l'esprit du respect de la personnalité humaine, de l'indépendance de l'homme, de l'initiative libre et du refus de toute autorité par tous les moyens adéquats et, en premier lieu, par l'exemple personnel de chacun des adhérents et par le fonctionnement libre et fédératif de l'organisation.

Pour la réalisation de l'idéal qui l'inspire, l'organisation anarchiste recommande, propage et applique l'action directe et révolutionnaire, participe à tous les mouvements révolutionnaires de masses, profitant de chaque occasion pour leur imprimer un sens profondément social et antiautoritaire.

Donc, l'organisation anarchiste, par sa composition spécifique de militants libertaires déterminés et convaincus, par son but, par le rôle social qu'elle se donne, par le labeur éducatif qu'elle se propose de réaliser, ne peut pas être une organisation de masses.

Ce caractère spécifique détermine le critère et le mode de recrutement des adhérents. Elle n'est nullement un groupement d'élites, mais le choix de ses membres doit, néanmoins, satisfaire à une triple exigence : connaissance suffisante des idées libertaires, minimum pratiquement possible d'activité et comportement individuel en harmonie avec la morale anarchiste.

L'organisation anarchiste, étant donné son caractère de rassemblement de minorités agissantes, n'est pas en mesure d'effectuer à elle seule la transformation sociale. SI, même, par l'accroissement du nombre de ses adhérents, elle arrivait à revêtir une certaine importance numérique, et, par là, une puissance révolutionnaire réelle, l'organisation anarchiste ne saurait jouer le rôle d'une organisation de masses, ne disposant pas de leviers, d'instruments et de structuré qui la rendraient susceptible d'effectuer la transformation dans tous les domaines de l'activité sociale.

Une telle organisation anarchiste, prenant l'aspect d'un rassemblement des masses, se serait transformée inévitablement en parti politique dont la seule possibilité d'agir est la prise du pouvoir, l'instauration d'une dictature pour diriger le processus révolutionnaire et réaliser la transformation sociale par la voie autoritaire, au moyen de décrets, seloh les conceptions et les exemples déjà bien connus.

C'est pour cette raison que les libertaires, tout en soulignant l'importance de l'organisation anarchiste et son rôle social irremplaçable, reconnaissent, en même temps, la nécessité absolue d'organisations de masses, afin de mener avec succès les luttes de classes, la préparation constante et la réalisation de la révolution dans ses deux aspects : destruction des anciennes structures et édification de la nouvelle société libre.

Les organisations de masses. Le syndicalisme

Si la base de l'organisation spécifiquement anarchiste est l'identité des aspirations idéologiques, la raison d'être des organisations de masses est l'identité des intérêts. Leur rôle est avant tout de défendre ces intérêts immédiats, d'éduquer les masses dans et par les luttes sociales et d'assurer, en perspective, lors de la révolution, le passage de l'ancienne société à la société nouvelle, en supprimant les structures économiques capitalistes, en assurant la continuité de la vie économique et la réorganisation de la nouvelle économie, sans exploitation, sans salariat. A cette base large, les organisations de masses font appel à tous les exploités sans distinction et constituent ainsi une armée de combat économique que représente le puissant levier de la classe ouvrière dans sa mission historique de transformation sociale.

La première et la Plus importante parmi les organisations de masses est l'organisation syndicale.

Le changement d'attitude du patronat, de l'Etat et des partis politiques envers les organisations professionnelles du prolétariat, au cours de l'histoire du mouvement ouvrier, est très instructif, car il nous permet de déterminer, avec plus de clairvoyance, notre propre attitude vis-à-vis du syndicalisme à l'heure actuelle.

Au début, et pendant une longue période, les patrons et leur fidèle serviteur l'Etat, s'opposaient à l'existence légale des groupements professionnels. Plus tard, ne pouvant plus empêcher la montée de la vague des luittes ouvrières, l'Etat, tout en continuant ses répressions contre la classe ouvrière, s'est vu obligé de lui reconnaître une vie légale afin de contrôler ses organisations et ses luttes. Les partis politiques, à la même époque, sous-estimaient le rôle des syndicats ouvriers, négligeaient et même sabotaient leurs luttes économiques.

Depuis, surtout après la première guerre mondiale, l'Etat s'employa.par tous les efforts possibles pour corrompre les militants responsables des syndicats et intégrer le syndicalisme dans ses propres rouages. Les partis politiques, et dans certains cas, l'église, avaient déjà modifié leur attitude envers les syndicats en essayant de s'emparer de leur direction.

Ce travail de sape, de corruption, d'accaparement, d'encadrement et d'intégration du syndicalisme ouvrier a presque totalement réussi.

L'attitude des anarchistes à l'égard des organisations professionnelles et du syndicalisme a subi, elle aussi, certaines modifications. Bakou-nine et ses camarades de l'Internationale, contrairement à Marx et ses acolytes, donna à l'organisation économique du prolétariat une importance primordiale, en insistant toujours sur la nécessité de l'unité de la classe ouvrière, sans aucun exclusivisme pour les conceptions philosophiques et idéologiques. Cette attitude ne changea pas à l'époque de la naissance et de la montée du syndicalisme révolutionnaire. Elle demeura la ligne de conduite de la grande majorité des anarchistes jusqu'à la fin de la première guerre.

Certains théoriciens et militants libertaires de grande valeur, tels notamment Malatesta, eurent à cette époque une position quelque peu nuancée. Tout en estimant hautement le rôle du syndicalisme en tant qu'instrument de lutte revendicative, ils exprimaient une certaine

crainte de l'effet conservateur des conquêtes matérielles de la classe ouvrière et de la bureaucratisation inévitable des cadres syndicaux. Pour cette raison, ils donnaient une plus grande importance aux syndicats ouvriers en tant que milieux propices pour la diffusion de nos idées et de nos activités révolutionnaires.

Les aspirations des partis politiques à la domination dans les syndicats ont conduit un grand nombre d'anarchistes à la modification de leurs positions syndicalistes, à la fin de la pre-. mière guerre, donnant préférence aux syndicats avec une finalité idéologique nettement déterminée, c'est-à-dire à l'anarcho-syndicalisme.

L'anarcho-syndicalisme. Caractère et rôle social

et révolutionnaire

Les syndicats n'ont plus d'autonomie et d'indépendance.

Dans les pays soi-disant socialistes il n'y a pas d'organisation de la classe ouvrière méritant le nom de syndicat; ceux qui en portent le nom sont de simples rouages de l'Etat, et leur rôle est d'encadrer et de contrôler l'ensemble de la classe ouvrière, dans le but de réaliser les plans économiques de l'Etat, dominés entièrement et exclusivement par un seul parti : le parti communiste.

Dans les pays capitalistes, les grandes centrales syndicales sont intégrées directement ou indirectement à l'Etat par les dirigeants syndicaux —' rois à vie — ou inféodés aux partis politiques et certains à l'église.

Face à cette réalité, et après une analyse approfondie de l'état d'esprit de la classe ouvrière, où la différenciation idéologique a atteint des limites extrêmes et la mainmise politique sur les syndicats est complète, les anarchistes demeurant fidèles au syndicalisme donnent aujourd'hui la préférence à l'anar-cho-syndicallsme, c'est-à-dire à un mouvement syndical avec finalité déterminée : le communisme libertaire. Pour eux, il. ne peut plus être question, ni de syndicats neutres, ni d'unité syndicale.

Mais, certains anarchistes, devant la dégénérescence du syndicalisme initial, analysant superficiellement la réalité historique, les possibilités et les facteurs de transformation de la société, arrivent à la négation globale du syndicalisme, sans exclure même les organisa-damnation que l'Etat.

En cherchant d'autres organismes de substituons anarcho-syndicalistes, estimant que le syndicalisme a vécu son temps et qu'il doit être mis au même banc d'accusation et de con-tution, les mêmes anarchistes, au lieu d'avancer, reculent en réactualisant une forme d'organisation circonstancielle, adaptée à des conditions particulières : les conseils ouvriers. Certains ne se soucient pas même de résoudre un problème vital pour la révolution sociale, à savoir : l'organisation efficace et appropriée de l'économie lors d'une*" tentative de reconstruction sociale radicale et se satisfont de la simple négation. Ainsi ils tombent dans la confusion qui les condamne à l'impuissance.

J'y reviendrai pour mieux appuyer ces observations critiques. Ici, je vais essayer de faire ressortir, de la plus claire façon possible, le vrai caractère de 1 ' anarcho^syndicalisme et ton rôle révolutionnaire intrinsèque qui le rend historiquement absolument indispensable pour la transformation sociale. ^

A une certaine époque, les anarchistes se livraient à de vaines discussions sur les termes « noyaux », « germes » de la nouvelle société par lesquels les syndicalistes illustraient le rôle des syndicats pendant la révolution. Ils attribuaient une plus grande importance au rôle des syndicats en tant qu'organismes de défense, de résistance et de luttes revendicatives en laissant entendre, de cette façon, que leur existence se limite à l'époque pré-révolutionnaire. Aujourd'hui, je me permets, après une expérience très concluante — celle de l'Espagne de 1936-39, d'affirmer que, par contre, le rôle de l'organisation économique des travailleurs, en tant que levier de transformation de l'économie, lors de la révolution, me paraît beaucoup plus important que celui d'instrument défensif dans les luttes revendicatives.

U faut que les camarades se rendent bien compte de la complexité de la vie économique, de la portée de l'économie dans la société actuelle, de la nécessité inéluctable d'une organisation économique structurée, rapide et efficace au cours de la dévolution, assurant une plus large adhésion à l'œuvre reconstructrice, et, de là, à la victoire de la révolution, et c'est justement aux syndicats ouvriers avec une orientation libertaire que revient ce rôle. Ou la révolution réussira la réorganisation rapide de l'économie et triomphera, ou elle échouera sur ce plan et succombera — il n'y a pas d'autre alternative.

L'objection que l'anarcho-syndicalisme est aujourd'hui très affaibli, pour des raisons bien connues, et par conséquent l'on ne peut pas se permettre de telles ambitions, est pertinente, je le reconnais volontiers. Mais il n'y a pas d'autres solutions... le devoir impératif, des anarchistes conscients de leur rôle est de s'unir et d'orienter tous leurs efforts dans le sezvs de renforcement de l'anai-cho-syndicalisme. Il n'est pas tard, et tout n'est pas perdu. L'ennemi le sait mieux et il n'épargne pas ses efforts et les moyens de tous genres pour nous empêcher la remontée de la pente.

Autres organisations de masses

L'organisation syndicale des ouvriers est la plus importante pour nous, mais elle'n'est pas la seule organisation de masses, indispensable pour l'éducation du peuple, pour la préparation et la réalisation de la transformation de la société dans tous les aspects des activités des hommes.

L'on oublie trop, et l'on sous-estime même, dans certains pays le mouvement coopérât!! et le rôle utile qu'il joue et peut jouer mieux encore, si la participation des anarchistes y est plus importante, plus enthousiaste et mieux coordonnée.

La répartition, l'échange, Ja consommation sociale sont des fonctions économiques distinctes pour ne pas les confondre dans la transformation sociale avec l'organisation de la production, qui revient de préférence à la charge et à la responsabilité des syndicats. L'organisation rapide, ordonnée et efficace de ces fonctions vitales pour la vie sociale facilitera, de façon décisive, la réussite de la révolution.

Les coopératives de tous genres sont des organisations de masses ouvertes à tout le monde et leur rôle éducatif, leur expérience pratique dans le domaine de la répartition, de l'éehange, de la consommation et même de la production est si important que l'absence des anarchistes de ces entités populaires ne se justifierait d'aucune manière.

La jeunesse, avec ses particularités dûes à l'âge et aux problèmes qui lui sont propres, exige aussi une organisation de masse, à part où le recrutement et l'adhésion ne sauraient être l'objet d'exigences rigides.

En fixant intelligemment les tâches quotidiennes de l'organisation de la jeunesse, en évitant le dogmatisme idéologique trop étroit et en donnant préférence aux activités culturelles, aux distractions dont les jeunes sont avides, le rôle éducateur de cette organisation pourrait être très utile par l'attraction et la préparation des futurs militants libertaires.

L'organisation des femmes, afin de leur réaliser une ambiance plus appropriée et plus naturelle, en vue de résoudre leurs problèmes particuliers, est une autre forme de rassemblement des masses.

L'organisation même des enfants d'un certain âge, à l'exemple des autres — et pourquoi ne pas s'inspirer de telle expérience ? — pourrait être l'objet de préoccupation des libertaires qui cherchent à étendre leur influence et leur rayonnement.

Et enfin, la constitution, à l'initiative des libertaires, des centres ou de différentes institutions de culture, à l'exemple des Ateneos, en Espagne, et des «Tchitalichtata», en Bulgarie, avec leurs bibliothèques, leurs salles de lecture, leurs salles de conférences et de théâtre, qu'ont joué un rôle fort important dans le développement culturel de ces pays, les troupes théâtrales, les orchestres, les chorales populaires et divers groupes artistiques, touristiques, compléteraient le travail de pénétration et d'éducation au sein des masses populaires.

Si certains jeunes camarades font appel à « l'imagination au pouvoir », ils ont un champ beaucoup plus large et fertile où la capacité d'imagination trouverait une application plus utile, plus fructueuse, plus saine.

Les partis politiques

Revenons au plus urgent.

Les partis politiques sont aussi des organisa-tlons de masses, mais leurs objectifs et leur rôle social sont, par leur nature même, nuisibles aux masses, à leurs intérêts immédiats et vitaux, ainsi qu'à leur émancipation totale.

Les partis politiques ont les portes largement ouvertes pour tout le monde. Aucune entrave pour y adhérer. Aucune exigence et aucun critère ne détermine le tri et le choix des adhérents. L'appartenance sociale n'est pas une condition ni un obstacle, même dans les partis s'appelant ouvriers où, parallèlement aux travailleurs manuels ou intellectuels, dans le sens précis du terme, ont accès aussi les capitalistes, les patrons, les exploiteurs, sans parler des avocats qui souvent y occupent même les postes dirigeants.

A l'entrée au parti, on ne demande qu'une simple déclaration d'adhésion au programme. Une fois accepté, l'adhérent est tenu de payer sa cotisation et de soutenir les activités visant la prise du pouvoir, la participation aux élections, en l'occurrence.

Le parti politique, aussi « ouvrier » qu'il puisse être, est privé, par sa composition hétérogène même, de toute efficacité du point de vue d'émancipation sociale qui pourrait être franchement inscrite au programme. Le parti politique, tout parti politique sans distinction aucune est, — de notre point de vue libertaire — une organisation réactionnaire, même s'il était exclusivement constitué d'ouvriers, par son but direct et concret — la conquête du pouvoir, par l'aspiration fondamentale et permanente de ses leaders à s'emparer du pouvoir de l'Etat.

Arrivant à ce point de mon développement, je me permets de signaler une lacune dans la définition de nos objectifs révolutionnaires et dans notre propagande courante.

Nous discutons entre nous de l'oportunité de la collaboration avec les partis politiques, du point de vue idéologique et du point de vue pratique. Les avis sont divergents, bien que les attitudes pour et contre pourraient être justifiées.

Les critiques contre les partis, leur rôle néfaste, leurs trahisons même, ne manquent pas, mais une position doctrinale claire et cohérente en prévision de la transformation radicale de la société, à ma connaissance, n'a jamais été définie et exprimée de façon précise...

Si l'Etat continuait d'exister et s'il avait la chance de renaître, au cours de la révolution sociale, le mérite en reviendrait notamment, aux partis politiques. Donc, la destruction de l'Etat, objectif numéro un de la révolution libertaire, conditionne et entraîne, dans la logique la plus pure, la destruction des partis politiques, faisant partie indissoluble de ce même objectif.

Nombreux sont aujourd'hui les partisans de la pluralité. La pluralité — oui, devons-nous déclarer, pluralité des opinions, mais dans les organisations économiques et culturelles des masses — levier puissant de transformation et de progrès social. Tolérance à toutes les opinions, toutes les aspirations, sauf à une, celle qui vise la prise de pouvoir, l'exercice de l'autorité, représentée justement par les partis politiques.

Position franche et sans équivoque, dès aujourd'hui, et pour toujours :

Suppression, sine qua non, de l'Etat, et avec l'Etat, de tous les partis politiques !

Table rase aux tabous et préjugés « anarchistes »

N'est-il pas paradoxal de parler de tabous et de préjugés « anarchistes» ? Non, car il en existe et en quantité même si, par une certaine pudeur idéologique, nous prenons la précaution de nous protéger par des guillemets. Mais, rien n'est plus difficile que de se débarrasser des tabous et des préjugés qui maintiennent un doux climat de paresse intellectuelle dispensant des efforts nécessaires pour rattraper notre retard.

L'individu et le milieu

L'un des concepts d'apparence anarchiste est la croyance exagérée en les possibilités illimitées de l'individu face au milieu social. Et par individu, il faut entendre, dans ce cas, chaque individu, tous les hommes. En prenant comme point de départ la définition même de l'anarchisme, selon laquelle la base de toute organisation, la source de toute initiative est l'individu, nous arrivons souvent à surestimer les hommes tels qu'ils sont et à oublier que l'individu, lui-même, est le produit du milieu qu'il prétend changer et sur lequel, en réalité, il n'a pas une prise absolument déterminante. Et lorsqu'en cours de route, l'individu réel, concret, en chair et en os, montre certaines défaillances avec les déceptions qui s'ensuivent, nous nous obstinons à ne pas nous rendre compte de notre surestimation de départ.

Donc, la déduction pratique est la suivante : Tout en demandant à l'individu ce qui est dans son devoir de donner, d'apporter, il ne faut pas exagérer ses possibilités réelles pour éviter des déceptions éventuelles.

La conscience et les institutions

Un autre tabou est la primauté de la conscience individuelle, qui est en rapport direct avec le concept précédent. D'ordinaire, lorsque nos ennemis, ou ceux qui ne sont pas convaincus des possibilités de réaliser une société sans gouvernement, sans autorité, nous posent des questions sur les difficultés prévisibles, nous répondons de façon simpliste, en mettant l'accent sur la conscience des hommes, supposée plus élévée « demain », dans une société libre.

Eh bien, cette façon de répondre, non seulement ne convainc pas et laisse l'impression d'impuissance, mais elle dénote une méconnaissance de la réalité, et, ce qui est plus grave encore, une connaissance insuffisante de notre propre conception.

La conscience Individuelle ne sera Jamais ou, au moins pendant une longue période, la garantie suffisante pour le fonctionnement normal d'une société sans autorité. Ce « garde-fou » est représenté par la nouvelle organisation sociale, par les nouvelles institutions qui régleraient les rapports entre les hommes, contrôlant le comportement de chacun de ceux qui font partie de cette organisation, de ces institutions. Car il faut que tous sachent que les individus ne peuvent pas vivre en dehors de la société, et que société libre ne signifie nullement désordre, mais harmonie, réalisée par la solidarité.

La liberté et le contrat

De là, la nécessité de préciser et de se séparer d'un autre tabou en faisant comprendre que la liberté n'est pas quelque chose d'abstrait, d'extraterrestre, principe absolu, isolé d'un ensemble de principes qui constituent la conception anarchiste. La liberté sociale — oui, par la liberté a aussi un sens social — et garantie par le contrat, comme je l'ai déjà signalé et je crois qu'il n'est plus nécessaire d'y insister.

La liberté de l'individu étant un droit naturel inaliénable n'est pas concevable, au sein d'un groupe, d'une société, la plus libre qui puisse être, sans l'accomplissement des devoirs librement consentis, à base d'engagements volontaires. La solidarité du groupe, son existence permanente est garantie, justement, nar l'accomplissement constant, régulier et correct de ses engagements. Autrement, la vie sociale est Impossible et la liberté elle-même devient une abstraction, car elle ne peut pas se concevoir, elle ne peut pas exister hors de la société.

La spontanéité et l'organisation

L'importance de la spontanéité, dans les événements révolutionnaires, sur laquelle Bakou-nine a beaucoup insisté, a été confirmée, avec la plus grande évidence, par toute l'histoire d'un siècle des luttes. Cependant, ce n'est pas une déesse, devant qui l'on se prosterne. L'expérience a démontré aussi que, si la spontanéité n'est pas accompagnée et suivie d'une organisation adéquate, ses fruits sont récupérés par ceux qui sont organisés pour l'exploiter.

Et malgré la leçon concluante des événements de mai-juin 1968, en France, il se trouve des jeunes libertaires qui continuent d'idéaliser la spontanéité à tel point qu'ils se refusent, même sur le plan idéologique, de déterminer une position claire en mettant leur espoir exclusif dans la spontanéité.

La pensée, plusieurs fois exprimée par un groupement libertaire dans ces termes : « les militants communistes - libertaires n'ont pas de programme à présenter, ils en sont au même point que les autres travailleurs » reflète la croyance aveugle dans la spontanéité, même quand il s'agit de présenter un programme caractérisant ce groupement idéologique. Des prises de position de ce genre témoignent, soit d'une démagogie naïve et superflue, soit d'une impuissance idéologique, ou les deux à la fois. Quand on se donne le nom d'« organisation révolutionnaire anarchiste », il est absurde d'affirmer que l'on n'a pas de programme à présenter.

Formules miraculeuses et magiques

La foi aveugle en des formules qui automatiquement conduiraient aux solutions foncièrement libertaires témoignent aussi de l'existence des tabous. Et pourtant, l'expérience est suffisamment riche pour ouvrir les yeux.

L'une de ces formules, d'origine anarchiste, est : « conseils ouvriers ». Cette forme d'organisation, de coordination et de manifestation de la volonté et de l'action des masses ne garantit pas de façon automatique l'expression libre et automatique de la liberté et de l'action populaire. Celle-ci dépend de l'organisation, de l'influence et des forces réelles que possède un mouvement. Si ces facteurs nous font défaut au sein des masses, la bonne formule de « conseils ouvriers » sera exploitée par ceux qui y participent avec dynamisme et meilleure organisation. L'expérience russe n'est-elle pas suffisamment instructive pour ne pas nourrir de vaines illusions ?

Une autre formule, foncièrement libertaire, qui illustre de façon la plus simple le mode d'organisation et d'action fédéraliste : agir, organiser, édifier de « bas en haut » — pourrait être aussi facilement déformée et détournée, lorsque nous ne sommes pas en état de rendre son application effective. Elle pourrait servir une dictature camouflée s'exerçant, soi-disant de « bas en haut ». *

Il faudrait avoir bien connu la réalité politique et sociale quotidienne dans les pays de dictature bolchevique; il faudrait avoir assisté à de nombreuses réunions de masses où les décisions sont prises « à la base », à mains levées, au milieu d'un « enthousiasme » bien orchestré, pour avoir une idée claire de la façon dont une dictature absolue, exercée par un parti, prend l'aspect de fonctionnement de « bas en haut ».

L'exemple le plus récent nous est fourni par l'affaire de « Repûblica », au Portugal. Cest la « base » présentée comme gauchiste, qui a décidé et qui a agi pour permettre à l'Etat, et par son intermédiaire au Parti communiste de s'emparer de façon indirecte du contrôle du journal socialisant et d'étouffer certaines opinions.

Tous ces exemples — je pourrais en indiquer beaucoup d'autres — montrent qu'une formule, tout en étant de contenu foncièrement libertaire, et qui donne, en principe, la possibilité d'agir librement, de façon fédéraliste et de permettre l'expression de la volonté véritablement populaire, pourrait avoir une application pervertie. Pour qu'elle puisse être effective, il faut disposer d'une force garantissant la liberté d'expression et d'action. Il ne suffit pas d'avoir raison au niveau de la doctrine, mais il faut chercher et créer la force, pour avoir raison au niveau de la réalisation.

En conclusion, il est grand temps, de nous séparer, dans notre propagande, dans notre agitation révolutionnaire, de l'habitude routinière qui consiste à annoncer de bonnes formules et de justes mots d'ordre sous forme de conseils donnés aux autres, sans que parallèlement nous réalisions un travail d'organisation sérieux, permanent, soutenu et solidaire, pour avoir cette force nécessaire, afin de rendre viables les bonnes formules.

Les confusions

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Les confusions qui existent dans les milieux libertaires nous font aussi beaucoup de mal. Certaines sont l'œuvre de la provocation introduite par nos ennemis, afin de semer des désaccords et des disputes conduisant à la décomposition. D'autres viennent avec la mentalité de légèreté et d'amateurisme de certains de ceux qui nous rejoignent, sans se pénétrer du sens profond des tâches que l'anarchisme se propose de réaliser par la transformation radicale de la société. D'autres aussi, en adhérant, apportent un bagage intellectuel et idéologique déjà acquis et se mettent à réformer une idéologie qu'ils ne connaissent pas suffisamment. Il y a, enfin, certains anarchistes qui ont réellement cessé de l'être, mais n'ont pas le courage moral de déclarer ouvertement leur changement.

La lutte contre la provocation et le travail de sape dans les mouvements révolutionnaires qui ont toujours existé absorbent beaucoup d'énergie.

Les apports avec la mentalité de légèreté et d'amateurisme se traduisent par le fait de donner une importance primordiale et même exclusive aux problèmes secondaires qui ne sont pas liés directement aux tâches essentielles — la destruction du capitalisme et de l'Etat. A cette catégorie appartiennent la sexualité, l'homosexualité très à la mode depuis un certain temps dans cette société en décomposition et qui n'ont rien de commun avec les problèmes sociaux de la classe ouvrière. L'anarchisme social et organisé doit s'en débarrasser; d'ailleurs ces amateurs pour qui l'anarchisme n'est qu'un sport particulier, ne tardent guère à partir, les tâches révolutionnaires du mouvement étant trop dures pour ces sportifs.

Plus dangereux est le bagage idéologique étranger déjà acquis apporté par ceux qui viennent des milieux marxistes. L'introduction de cette confusion parmi les jeunes camarades est facilitée par l'existence d'une confusion dans les milieux marxistes eux-mêmes vis-à-vis die certaines anciennes tactiques anarchistes dépassés et abandonnées par les anarchistes. (Terrorisme non-motivé, aveugle, prises d'otages, etc.).

L'apport idéologique marxlsant, lorsqu'il est accompagné d'une certaine sincérité, nous Pose des problèmes beaucoup plus difficiles à résoudre. J'estime que la prise de conscience du dan-ger qui nous vient de ce côté, rend indispensables la préparation et la publication d'un ouvrage sérieux se référant à cette réalité et traitant, de façon précise, en s'appuyant sur l'expérience vécue, les différences théoriques et tactiques fondamentales entre l'anarchisme et le marxisme.

Dans un ouvrage de ce caractère il convient, avant tout, de dissiper une conviction erronée, largement répandue, selon laquelle le but final de l'anarchisme et du marxisme est le même, et que les divergences entre eux ne concernent que les moyens d'y parvenir. Fausse affirmation dûe, en partie, à la vulgarisation de nos idées par certains propagandistes.

Il faudra prouver, ensuite, par un examen minutieux des méthodes d'analyse des deux doctrines, les moyens d'édification de la nouvelle société, la psychologie de leurs adeptes, l'évolution de l'anarchisme et du marxisme en contact avec la réalité des expériences concluantes des révolutions où les deux conceptions se sont violemment affrontées. Cette analyse prouvera qu'il n'y a et qu'il ne pourrait y avoir rien de commun entre ces deux doctrines, diamétralement opposées, ni dans le but, ni dans les moyens et les tactiques. L'une, foncièrement autoritaire, est rattachée insolur blement au passé; l'autre, substantiellement libertaire, vise la destruction de toutes les vieilles structures. L'une, écrasant l'individu, crée un amalgame abstrait des hommes portant le nom de « masses »; l'autre ne reconnaissant que la seule entité réelle et palpable ; l'homme, en chair et en os, libre et solidaire.

I. F. A. et A. I. T.

Si la concentration et la coordination des efforts, la structuration du mouvement sont nécessaires au niveau des individus, des groupes et des organisations sur le plan local, régional, et à l'échelle des différents pays, elles sont d'autant plus indispensables sur le plan international, à l'époque où un ensemble complexe de facteurs pousse le monde inexorablement vers l'internationalisation, l'universalisation de plus en plus complète. Cette nécessité est ressentie, d'abord, pour assurer la circulation régulière de l'information et le maintien des relations, avant d'arriver à la coordination des activités : tâche suprême de toute organisation, sans laquelle l'action efficace est impossible.

Le cadre de cette coordination existe : l'Internationale de Fédérations Anarchistes (I.F.A.) et l'Association Internationale des Travailleurs (A.I.T.).

Après une longue expérience, et des tentatives plusieurs fois renouvelées, mais sans succès, de sauvegarder et de maintenir l'unité du monde du travail, à base des intérêts vitaux de classe, sans distinction d'appartenance philosophique, idéologique ou politique, et face à la menace du bolchevisme d'étendre et d'imposer mondialement sa dictature, diverses organisations syndicalistes - révolutionnaires et anar-cho-syndicalistes, reconstituèrent, au début de 1922, l'ancienne Internationale ouvrière. : la 1ère Internationale sous la même appellation d'Association Internationale des Travailleurs, mais avec une finalité plus déterminée répondant aux impératifs de la profonde différenciation idéologique au sein de la classe ouvrière.

Sensiblement affaiblie à cause des fortes répressions successives, déchaînées contre les syndicalistes - révolutionnaires, les anarcho -syndicalistes et les anarchistes par le fascisme et le bolchevisme dans de nombreux pays : l'U.R.S.S., l'Italie, le Portugal, l'Allemagne, l'Argentine, la Bulgarie, l'Espagne, etc., etc., l'A.I.T. demeure aujourd'hui la seule Internationale ouvrière fidèle à l'internationalisme, à l'esprit d'indépendance et à l'action directe de la Première Internationale non intégrée dans l'Etat et non inféodée aux partis politiques ou à l'Eglise.

Elle représente, par sa continuité idéologique et tactique et par le maintien de relations régulières sur tous les continents qu'elle assure, une certaine force. Elle publie un bulletin d'informations recherché avec grand intérêt.

Donc, la place de tous les ouvriers anarchistes et anarchcNsyndicalistes professionnellement et syndicalement organisés ou en train de s'organiser à l'échelle de leurs pays est dans l'AIT, si vraiment ils sont conscients de leurs Intérêts et de leurs devoirs.

Le fait que l'AIT soit numériquement faible, comparée aux autres Internationales qui ne jouissent d'aucune autonomie ni indépendance, n'est pas une raison de ne pas y adhérer; bien au contraire, c'est une obligation pour tous ceux qui désirent sincèrement l'émancipation intégrale des travailleurs, obligation de rejoindre leurs camarades qui. ne cessent pas de la soutenir pendant cette période de crise qui approche de sa fin.

• «

Les relations et la coordination internationales spécifiquement libertaires sont assurées actuellement par l'Internationale de Fédérations Anarchistes (I.F.A.).

Depuis le Congrès de St-Imier, en 1872 — acte de naissance de l'anarchisme organisateur, social et révolutionnaire — plusieurs tentatives de création d'une Internationale anarchiste ont eu lieu, dont la plus importante a été celle du Congrès anarchiste d'Amsterdam de 1907.

La fondation de l'I.F.A., au Congrès de Carrare, en 1968, est la dernière réalisation sérieuse. Cependant, différents malentendus se sont manifestés à cette occasion, et certains ne sont pas encore dissipés. Les Initiateurs et le? organisateurs du Congrès de Carrare, fondateurs de l'I.F.A., conscients de l'existence de tendances idéologiques et de divergences,, en ce qui concerne le mode d'organisation et d'action, se sont proposés de rassembler dans cette Internationale seulement ceux qui peuvent se mettre d'accord sur sa structure. Pour ceux qui y participent, il est absolument clair : IV qu'il est Impossible et même peu souhaitable, du point de vue efficacité, d'unir toutes les tendances en une seule organisation de ca~ ractère international; 2°, que ce rassemblement doit se bader, se réaliser et se maintenir sur l'Identité idéologique, tactique et organisatîon-nelle exprimée dans une déclaration de principes librement consentie et adoptée; 3°, que la structure la plus adéquate, toujours du point de vue efficacité du fonctionnement, est le groupement de militants, localement, régionale-ment, et par pays en une seule fédération. Dans les pays où, pour différentes raisons, une telle fédération n'est pas constituée et dans l'attente de sa constitution, les militants peuvent adhérer à l'LF.A. par groupes non fédérés, et même individuellement.

Oe mode d'organisation ne signifie aucun exclusivisme. Tous les autres libertaires, dans le monde, qui ne veulent pas s'organiser ou n'acceptent pas un tel mode d'organisation sont libres d'agir selon leurs préférences, leurs convenances, leurs conceptions. L'LF.A. ne prétend pas représenter, seule, tous les libertaires dans le monde. Fidèle à l'esprit de solidarité dont elle s'inspire, l'LF.A. cherchera les possibilités de rapprochement et de collaboration fraternelle avec les anarchistes non adhérents, toutes les fois où le besoin s'en ressent et que de telles occasions se présentent.

Donc, les positions des anarchistes reconnaissant la nécessité absolue de deux types d'organisation : par identité idéologique et par communauté d'intérêt, de l'action directe et révolutionnaire, comme tactique et du communisme libertaire, comme finalité guidant toutes leurs activités, sont claires.

Les libertaires adhérant à l'I.F.A. et à l'A.LT. sont profondément convaincus que l'évolution sociale leur impose une responsabilité historique, et, pour cette raison, ils font appel à tous les anarchistes dans le monde pour concentrer leurs forces et coordonner leurs efforts.

Pour conduire, un dernier mot

En repensant tout ce qui vient d'être dit, ainsi que ce qui ne l'a pas été, je cherche un dernier mot qui toucherait le fond du problème, pour me faire mieux comprendre et être plus convaincant. Que les camarades soucieux de la réussite de nos luttes prennent une profonde conscience de ce qui est absolument nécessaire afin de rattrapper le retard.

L'anarchisme, les libertaires — ceux qui croient l'être et ceux qui le sont sans se reconnaître, plus nombreux qu'on ne le croit — représentent une force beaucoup plus importante que l'insuffisance d'organisation actuelle ne le laisse voir.

Malgré toutes les conjurations de nos nombreux ennemis, tiotre idéal se réalisera, car il répond aux aspirations les plus profondes de l'homme : la liberté, la solidarité, la justice. Et il n'y a pas de force, ni terrestre ni céleste, capable d'étouffer ces aspirations séculaires. L'évolution progressive du monde est dans cette direction. Toute l'histoire de l'humanité le prouve. Il n'est que question de temps. L'accélération dépend de nous. Oe qu'il nous faut, afin d'être à la hauteur de la tâche historique qui nous incombe, c'est la présence permanente, rattachement inébranlable, l'esprit de suite et de continuité, rengagement précis, conscient et à vie, la conscience que chacun de nous, tout militant, est une force irremplaçable n'ayant pas le droit d'être simple spectateur, de s'isoler, de s'enfermer dans sa « tour d'ivoire », de fuir de ses moindres obligations. C'est simple et important à la fois.

Espérons que cette prise de conscience ne manquera pas de se produire le plus vite possible!

Supplément au n° 897 de « Le Combat Syndicaliste »

Le Directeur de la Publication : André Maille. O.P.P.P. n° 20.936.

JDmp. des Gondoles, 4 et 6, rue Ohevreul 94600 Cholsy-to-Roi — Téh 890 9M7.

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