NaisM Jes Artistes 19, Grand'Place, 19 BRUXELLES
1938
PRIX : 2 frs.
Le socialisme contre l'autorité Forte brochure, 80 pp.........3 frs.
i
EN COLLABORATION (avec Raoul PIRON et War Van OVERSTRAETEN) Renaissance du socialisme.
Forte brochure,........2 frs
Cb^^J^ "livf
Je n'ignore pas que, dans la plupart des milieux que peut toucher cette brochure, la propagande anti-guerre a déjà largement pénétré et qu'il sera bien difficile d'y apporter des lumières nouvelles.
Si donc la présentation de cette étude doit comporter une justification préliminaire, je me bornerai à reprendre la devise :
« Ne puis autrement ».
Malgré l'urgence et l'intérêt que présentent actuellement tous les aspects du problème social, il n'en est aucun qui n'apparaisse secondaire devant la guerre, et il n'est pas de réflexions qui ne m'y ramènent bon gré mal gré.
Ce n'est point que je méconnaisse les tentatives de clarification et d'élaboration doctrinales et tactiques dans le but de promouvoir un ordre nouveau ; et je sais de ces efforts qui sont hautement sincères et profondément sérieux. Mais je ne puis m'empêcher de penser que la guerre survenant en ferart table rase.
Je crois qu'aussi longtemps que le problème de la guerre n'aura été résolu, rien ne pourra être résolu et que toute espérance sociale restera vaine.
Je ne puis davantage me satisfaire de cette thèse trop facile qui escamote le véritable problème en considérant simplement la guerre comme une conséquence de l'un ou l'autre régime politique ou économique.
Il est bien vrai que la guerre participe du régime social, mais il est vrai aussi que la guerre fut de tous les temps et de tous les régimes. Et ne doit-on pas en conclure que la guerre est un phénomène ayant des causes propres et indépendantes ?
C'est pourquoi, malgré les difficultés et l'ingratitude de la
tâche, j'ai entrepris cet examen critique et objectif de la guerre.
* ♦ »
En voulant rassembler et situer les premiers éléments d'un tel travail, je fus rapidement amené à une bien curieuse constatation :
De tous les problèmes historiques et sociaux, la guerre, est, sans contredit, le plus important et celui qui fut le moins examiné. ' .
Désirez-vous être éclairé sur la question religieuse ? Des ouvrages généraux ou spécialisés existent en abondance, tant sur de vastes synthèses que sur les particularités ' du Totémisme primitif ou les subtilités des théologies chrétiennes.
Voulez-vous approfondir la notion de propriété, ses applications, son histoire, son évolution ? Des bibliothèques entières sont à votre disposition.
11 n'est jusqu'aux problèmes plus particuliers du mariage, de l'héritage, du droit civil, pénal, etc..., qui n'aient été et ne soient encore étudiés, analysés, synthétisés, avec une louable et sincère volonté de savoir et de comprendre.
Enfin en ce qui concerne les problèmes artistiques, linguistiques et culturels en général, la somme des travaux qui y furent consacrés, dépasse toute possibilité d'évaluation.
Au reste, si notre siècle mérite d'être appelé scientifique, n'est-ce pas, en définitive, pour avoir poussé à un degré extrême la passion de la connaissance, le besoin de compréhension et de synthèse ?
Il existe aujourd'hui des chaires universitaires consacrées à l'étude du sanscrit, des spécialistes des civilisations américaines pré-colombiennes, et de doctes académies vouées aux recherches folkloriques. L'esprit scientifique objectif et critique est appliqué à tous les domaines de l'activité humaine ; il en est un où ,sa carence est particulièrement grave : la guerre.
Après une dizaine de milliers d'années d'histoire et un siècle de civilisation a scientifique», nous en sommes là ! On subit la la guerre et on ne la connaît pas. Rares sont les ouvrages qui tentent valablement une analyse historique de la guerre, une recherche méthodique de ses origines, de son évolution et de ses contingences sur les différents plans de la pensée et die l'activité humaine ; plus rare encore les essais de synthèse et de philosophie de la guerre. Enfin cette négligence fut si générale et si complète que la documentation élémentaire, elle-même, fait souvent défaut.
Sans doute la critique n'a jamais épargné la guerre et l'on remplirait aisément des volumes de citations empruntées aux plus grands penseurs de tous les temps et qui condamnèrent la guerre avec un talent qu'il serait vain de vouloir dépasser ici.
Mais ces condamnations restent, en général, des condamnations de principe au nom de morales supérieures, religieuses ou laïques. Et s'il est vrai que" l'on ne soulignera jamais assez l'horreur de la guerre et que l'on ne trouvera" jamais assez de moyens d'émouvoir les consciences, cela ne peut dispenser d'appliquer au phénomène «guerre» la critique objective qu'un tel sujet exige plus que tout autre.
La propagande pacifiste se borna trop souvent à juger la guerre en soi et en principe, en la considérant systématiquement et uniquement comme un phénomène biologique, social et moral toujours semblable à lui-même dans le temps et dans l'espace.
Or, si nous examinons le phénomène «guerre» non plus en principe, mais en fait, c'est-à-dîre, dans la réalité historique .et concrète, la guerre n'apparaît plus simplement comme un phénomène unique, mais comme un ordre et une succession de faits variables dans leurs origines, leurs conséquences et toutes leurs contingences.
Qu'on ne dise pas qu'une telle affirmation n'est qu'une vérité banale. La face du monde a pu changer ; on trouve naturel d'aller d'Europe en Amérique en un jour, d'entendre un discours prononcé en Chine et l'on songe à visiter d'autres planètes ; mais l'immense majorité des homme raisonne de la guerre comme aux temps des châteaux-forts et des fusils à pierre.
On reste effaré de»ant les arguments que l'on avance pour justifier la guerre. On demande au pacifiste, sur un ton sans réplique, s'il n'opposerait aucune résistance aux malfaiteurs qui voudraients forcer sa porte, le piller et menacer la vie de^f siens, etc...
11 faut alors apprendre à l'interlocuteur que le fait-divers qu'il imagine est une chose et que la guerre en est une autre. L)e même qu'un durillon est une maladie et que le choléra est une autre maladie. De même enfin qu'une rivalité de seigneurs féodaux, qui se soldait par la mort de cinquante gens d'armes, était une guerre et que la tourmente 1914-18, qui coûta .12 millions de cadavres, fut une autre guerre. Car c'est ici que se vérifie sans doute le mieux l'axiome philosophique qui dit qu'en changeant quantitativement, une chose change qualitativement. • x
La grande, l'immense aberration actuelle, consiste précisément dans l'incapacité ou le refus de poser la question de la guerre telle qu'elle doit être posée et telle qu'elle se pose.
La guerre doit être jugée dans sa réalité historique, c'est-à-dire dans les différents stades de son évolution; laquelle est
inséparable de l'évolution générale du monde et de la civilisation.
• * •
C'est en partant de cette idée première que fut entreprise cette étude.
On se rendra compte immédiatement que dans le cadre de ces quelques pages, elle ne pouvait être que l'ébauche d'u'n travail qui, pour être complet, exigerait des compétences et un temps dont fort peu d'hommes disposent.
A proprement parler, cet essai vise plutôt à orienter les réflexions et les recherches sur des aspects essentiels du problème de la guerre considérée en tant que phénomène particulier et indépendamment des cloisons de partis, d'églises, de régimes, de peuples et de races.
Car la vérité sur la guerre et la paix n'est pas infailliblement liée à la vérité de l'un ou de l'autre parti.
La vérité sur la guerre, ressort de l'analyse des faits.
ERNESTAN.
Bruxelles, janvier-mars 1938.
La Guerre esi-elle le destin permanent Je l'humanité ?
L'homme ne tient pas davantage à songer à la guerre qu'il ne se complait à méditer sur ses fins dernières.
Au reste, pour ceux qui n'ont pas su percer à jour ses mensonges et son absurdité, la guerre est une chose exactement du même ordre que la mort. Toutes deux apparaissent comme des tragédies mystérieuses dont la fatalité écrase et contre lesquelles il parait vain de s'insurger.
« Il y a toujours eu des guerres, il y en aura toujours?». Telle est la misérable logique derrière laquelle se cachent l'ignorance, la bêtise et la lâcheté. Telle est la pitoyable échappatoire par laquelle on prétend résoudre le plus tragique problème qui se pose à l'humanité. Telle est, enfin, la formule qui veut suffire à l'apaisement des terreurs et des scrupules.
Or, si la croyance en l'éternité fatale de la guerre vaut la peine qu'on s'y arrête à cause de sa popularité, il est bien certain que cette croyance ne résiste à aucun examen sérieux.
Dire qu'une chose existera toujours paroe qu'elle a toujours existé est premièrement une grossière erreur de fait. A ce compte aucun changement profond ne se serait jamais produit dans le monde, alors que, par définition, tous marquèrent précisément la fin de croyances, de moeurs et d'institutions immémoriales.
En réalité, cette philosophie vulgairement fataliste de la guerre, correspond d'une part, à la servilité atavique des masses et, d'autre part, à cette optique déformante et à courte vue qui ne permet guère de concevoir les choses autrement qu'on ne les connaît. Et les plus grands esprits n'échappent point à cette déformation. Platon imagina sa «République Idéale» sans concevoir la disparition de l'esclavage.
Mais, à propos de la guerre, l'anecdote la plus typique est celle que l'on rapporte sur Napoléon. Exilé à Sainte Hélène, il y fut visité par des officiers anglais faisant escale dans l'île. Incidemment, ils apprirent à l'Empereur déchu que des peuples de la Chine ne possédaient pas d'armes de guerre et que, du reste, ils ne faisaient jamais la guerre. Ces officiers racontent que Bonaparte trouva cela incompréhensible et en resta tout perplexe.
En réalité, on n'en finirait pas de citer des usages ou des institutions sociaux qui furent jugés inadmissibles ou incompréhensibles après avoir été admis durant des millénaires.
Un exemple, qui permet parfaitement la comparaison avec la guerre, nous est fourni par le duel. Jusqu'au moyen-âge, il était un moyen légal et moral de trancher des conflits d'intérêts particuliers. Plus tard, il reste réservé aux conflits «d'honneur» ! De nos jours, il est généralement considéré comme une pratique barbare et absurde.
Pareillement, la peine de mort sembla unanimement la punition logique et indispensable de l'homicide, jusqu'au jour ou des juridictions modernes comprirent son immoralité, son inutilité et sa nocivité.
Enfin il est notoire que l'évolution, tant dans l'ordre moral que dans le domaine technique, ne fut possible que grâce >à l'audace de pensée et d'action et au mépris de la tradition.
Aujourd'hui il s'agit pour l'espèce humaine de franchir ,et de toute urgence, une nouvelle étape de son évolution. Il s'agit de savoir si l'humanité assurera sa conservation et son développement et si le progrès technique concordera avec un progrès moral équivalent. Dans le cas contraire, en forgeant la technique moderne, les hommes n'auront forgé que les instruments de leur mort et le progrès n'aura été qu'un suicide social.
Contre une telle perspective la conscience élémentaire et l'instinct de conservation collective dictent de réagir.
Le dilemne qui se pose n'est plus : «La guerre ou la paix», il est : «la fin de Ui guerre ou la fin de tout ! » • x
Les essais d'apologétique guerrière
Lorsqu'elle n'est pas dans l'état d'obnubilation du jugement qui règne nécessairement durant la guerre effective, l'opinion publique de tous temps et de tous lieux considère la guerre, comme un malheur, le plus grand qui puisse s'abattre sur la collectivité. Tout au plus les «esprits forts» se permettent-ils de l'appeler : un mal inévitable.
On trouve ainsi des esprits originaux qui, frappés ou obsédés par le phénomène guerre et qui, n'y trouvant aucune justification raisonnable, se décidèrent à la justifier étrangement en dehors de la raison.
Un cas curieux est celui de Joseph de Maistre.
Dans un style d'autant plus brillant qu'il se met au service du paradoxe, l'auteur des «Soirées de St. Pétersbourg» trouve la première explication de la guerre dans «.une loi occulte et terrible qui a besoin de sang humain». Après quoi il exalte lyriquement le militaire : «Au milieu du sang qu'il fait couler il. est humain comme l'épouse est chaste dans les transports de Vamour» (sic). f
Par ailleurs, de Maistre regrette «le grand siècle du la France»... $On se tuait sans doute, on brûlait, on ravageait, on commettait même, si vous voulez, mille et mille crimes inutiles mais cependant on commençait la guerre au mois de mai; on lu terminait au mois de décembre, on dormait sous la toile; le soldat seul combattait le soldat. Jamais les nations n'étaient en guerre, et tout ce qui est faible était sacré... La bombe dans les airs évitait le palais des rois; des danses, des spectacles, servaient plus d'une 'fois d'intermède aux combats. L'officier ennemi, invité à ces fêtes, venait y parler en riant de la bataille qu'on devait donner Le lendemain».
Il est quelque peu excusable, qu'avec un tel idéal de la guerre, de Maistre en arrive à dire : «La guerre est donc divine en elle-même puisque c'est une loi du monde».
A ce compte, 0:1 peut tout aussi bien soutenir, par exemple, que l'égoïsme et le mensonge sont d'essence divine, car ils sont tout autant une loi du monde !
Le plus étonnant est que ce de Maistre fut considéré comme un grand philosophe catholique, et l'on se demande comment ces élucubrations blasphématoires peuvent s'accorder avec les enseignements du Christ.
Mais passons à un genre qui se voudrait plus sérieux.
Avec les guerres de plus en plus meurtrières et destructives, et devant la nécessité plus impérieuse de les préparer psychologiquement, l'époque contemporaine vit apparaître cette racé, toute nouvelle, des apologétistes rationalistes de la guerre.
Il ne s'agissait donc plus d'une simple exaltation des «vertus guerrières)-, mais d'une prétention à démontrer philosophiquement et scientifiquement la nécessité, voire la bienfaisance de la guerre!
A vrai dire, ces apologies sont bien tombées en désuétude, et Ton n'oserait plus, aujourd'hui, présenter encore les énormites qui avaient cours il y a seulement 20 ans.
La guerre future avec les formidables capacités destructrices dont elle disposerait, effraye même ses plus enragés promoteurs. «La guerre fraîche et joyeuse» du Kromprinz apparaît comme une boutade non seulement infâme mais objectivement hors de propos ! De même l'affirmation d'un général français de 1914-1918 : <.'.La guerre rtya que l'apparence de la destruction » devint singulièrement déplacée devant la destruction réelle, et entr'autres, de quinze cent mille citoyens-soldats de France.
Toutefois.. ne serait-ce que dans un but documentaire, nous voulons rencontrer quelques arguments moins pathologiques, de ces plaidoyers pro-guerriers.
«La guerre est l'école des plus hautes vertus civiques et particulièrement du courage».
K est vrai qu'en certains cas, la guerre exige du courage. En certains cas seulement, car on ne peut appeler «courage» l'inconscience et la soumission qui mènent les troupeaux de soldats aux abattoirs. Enfin, dans l'hypothèse la plus respectable, le courage guerrier est avant tout un courage physique.
Or le courage physique est une question de résistance physiologique et nerveuse, de même que la force physique est une question musculaire, et il est donc faux de considérer cette forme de courage comme une vertu admirable. L'acrobate de cirque qui risque sa vie tous les soirs, montre, incontestablement ce courage, sans que nul ne songe à le considérer comme un héros. Les professionnels du banditisme, les «gangsters» font preuve, eux aussi bien souvent, d'un courage qui surpasse celui de la plupart des «héros» de guerre. Et n'y-a-t-il point de ces détraqués ou exhibitionnistes qui dépensent un courage aussi téméraire que gratuit dans des «sports» essentiellement périlleux ?
En vérité, le courage physique ne devient admirable que par la cause qu'il sert.
L'aviateur qui se tue en s'amusant à des acrobaties, n'émeut pas. Celui qui périt en portant secours à des naufragés inspire admiration et respect; malgré qu'il faille autant de courage physique dans l'un comme dans l'autre cas.
Le courage purement physique n'est que le mépris de sa vie et de sa personne. Il n'a en soi rien d'admirable et il s'accompagne généralement du mépris de la vie des autres. Quant au courage véritable qui consiste à admettre consciemment le risque et le sacrifice personnels pour une cause supérieure, la guerre n'est aucunement nécessaire à sa conservation.
Le courage guerrier est un courage destructif au service d'une oeuvre de mort. Il y aura toujours assez d'oeuvres de vie qui réclameront le dévouement héroïque de ceux qui en sont capables.
> * •
«La guerre est nécessaire aux peuples qui veulent vivre et triompher».
Le malheur est que si cette règle est fondée, elle l'est pour tous les peuples.
Ainsi le monde devient un champ clos où tous les peuples qui veulent «vivre > n'ont d"autrc alternative que de s'entretuer indéfiniment.
Indépendamment de la valeur intrinsèque de cette morale, nous disons que ce qui rend la situation présente si angoissante, c'est précisément que cette morale primitive reste de règle, dans un monde qui n'est plus au stade primitif. Que si la civilisation ne veut pas périr, elle doit établir une morale internationale
adaptée à son stade d'évolution.
* * *
«La guerre est la loi biologique d'élimination des faibles par les forts; elle opère la sélection historique entre les peuples». 1 i
Remarquons tout d'abord, que la guerre opère premièrement une sélection à rebours, car ce sont les mieux constitués qui lui paient le plus lourd tribu. D'autre part, ce scientisme au rabais spécule, en réalité, sur un darwinisme vulgaire et défiguré.
S'il est en effet exact que la lutte pour la vie est parfois implacable entre les espèces animales, il est au contraire de règle qu'au sein d'une même espèce se pratiquent la solidarité et l'entr'aide. Et cette règle est en général d'autant plus rigoureuse qu'il s'agit d'espèces plus évoluées.
On peut en tout cas affirmer que l'espèce humaine doit sa conservation et son évolution à la pratique de la solidarité et à sa tendance à la sociabilité. Il est même certaim que le triomphe de l'homme sur les autres espèces et sur la nature hostile, vient de ce que son intelligence lui permit de pousser cette sociabilité à un degré incomparable.
Quant à la valeur historique des races et des peuples guerriers, il est bien difficile d'établir à ce propos une échelle de valeur qui soit valable. On constate cependant que les peuplades les plus essentiellement guerrières furent généralement inférieures ou stériles au point de vue culture et civilisation. Ce fut le cas, entr'autres, des Normands, des Huns, des Mongols, etc... 11 est d'autre part remarquable que la valeur guerrière d'un peuple est totalement insuffisante pour assurer sa suprématie. On ne peut imposer une culture que par une véritable suprématie culturelle. Et ceci est à tel point exact, que l'on vit des peuples conquérants être absorbés par ceux qu'ils avaient vaincus.
11 faut aussi relever le sophisme ridicule qui consiste à dire que puisque la guerre se manifesta à toute époque de l'histoire» et fut le fait de toute civilisation, elle était donc indispensable à l'évolution !
Ceci ressemble fort à une démonstration par l'absurde mais qui est elle-même un comble d'absurdité. A ce compte, il faudrait également ranger parmi les conditions nécessaires à l'évolution historique, les cataclysmes naturels, les épidémies, les famines, etc..., qui frappèrent les collectivités humaines, et il serait alors bien" stupide de vouloir y parer. Tout ce que l'on peut dire à ce propos, c'est que l'humanité a progressé malgré la guerre; et c'est, en vérité, très remarquable.
En tout cas, on peut ergoter à perte de vue sur la valeur sélective de la guerre, sur la psychologie des peuples guerriers, etc... Mais ce que l'on ne peut contester, c'est que la guerre fut, par excellence, le moyen de destruction et d'anéantissement.
Que par la guerre des civilisations entières disparurent sans presque laisser de traces. Que les plaines de l'Asie Mineure virent surgir, s'affronter et s'entre-détruire de splendides cités dont il ne reste que ruines enfouies dans les sables.
Que de la Grèce et de la Rome antiques les guerres et les invasions 11e laissèrent que des débris qui furent péniblement interrogées après dix siècles de recul culturel, etc...
Enfin, que par la guerre périodique, l'histoire n'est qu'une succession chaotique de laborieuses édifications suivies de destructions ou d'effondrements catastrophiques; un flux et un reflux de civilisation et de barbarie. Sans que soit exclu un reflux si catastrophique qu'il amènerait la disparition de la civilisation pour un temps indéfini ou même la fin de toute civilisation.
Aperçu historique sur l'évolution Je la guerre
La guerre est l'usage de la violence extrême et systématique dans un conflit entre groupements humains.
A considérer cette définition en dehors de tout à-priori, il faut reconnaître que la guerre fut pratiquement inséparable de certains stades de l'évolution physiologique et sociale de l'espèce humaine. ?
Car s'il est vrai de dire que la solidarité reste la condition de la conservation et du progrès de l'espèce, cette règle fut évidemment d'une application relative, et subit d'innombrables exceptions.
Ces violations de la solidarité humaine ne s'expliquent pas d'une façon générale et définitive de par la manifestation d'instincts de violence et de meurtre que l'on appelle parfois «instinct guerrier».
Certes, les millénaires durant lesquels l'homme pratiqua en permanence la violence physique, ont laissé en lui des traces ataviques profondes. Cet atavisme survit encore dans les mythes de la force et de l'autorité; dans la croyance que la toute-puissance militaire et politique permettra, à ceux qui la posséderont, de tout résoudre et de tout faire.
Cependant les instincts de violence meurtrière ne sont pas les causes de la guerre. Ce qui est vrai, c'est que à l'occasion des guerres et de l'excitation voulue, entretenue et glorifiée, les vieux instincts de férocité se réveillent et se déchaînent.
Mais s'il est vrai que l'homme a passé par des stades d'évolution dans lesquels la guerre était, en quelque sorte, l'état naturel, il est plus vrai encore que l'homme a édifié la civilisation dans la mesure où il a compris, réalisé et étendu la paix.
A y regarder de près, la division en préhistoire et histoire apparaît plutôt comme un euphémisme pour désigner l'histoire connue et l'histoire inconnue.
Malheureusement l'histoire connue ne s'étend que sur quelques dizaines de siècles, tandis que l'histoire quasi-inconnue s'étend sur des dizaines de milliers d'années. C'est cependant durant les périodes dites «préhistoriques» que l'espcce humaine a franchi les phases les plus importantes de son évolution. Nos historiens sont fiers de ne rien ignorer du partage de l'Empire de Charlemagne et de la Révocation de l'Edit de Nantes; alors qu'ils ne connaissent à peu près rien de l'origine et de la formation des races et des sociétés. Il est bien certain, dans ces conditions, qu'en parlant de la guerre préhistorique, nous en sommes réduits h des considérations très limitées.
Quelques points sont cependant établis :
Que les premiers hommes étaient chasseurs et carnassiers. Qu'il n'y avait pas de raison pour qu'ils ne soient pas, à l'occasion, antropophages et que leur morale était celle de la jungle. La lutte pour l'existence était directe et impitoyable. Lorsque deux de ces chasseurs allaient se rencontrer, le mieux qui pouvait arriver, c'est qu'ils s'évitassent.
La première cellule sociale fut la famille : Père, mère, enfants en bas âge.
Progressivement élargie jusqu'à comprendre les ascendants et les descendants, puis les mâles et femelles venus s'accoupler aux composants de la famille, celle-ci devint la tribu.
Dès ce moment, un progrès immense est réalisé, et la lutte pour l'existence change d'aspect. La guerre entre individus n'est plus la pratique générale. Au sein de la tribu, la paix conquiert son premier domaine. La règle qui s'y établit, loin d'être la rivalité mortelle est, au contraire, l'entr'aide et la solidarité. Par cette sécurité relative, l'homme a trouvé d'immenses possibilités de développement. La civilisation devient possible.
Durant cette première période de civilisation ou de sociabilité, la guerre continue à être purement instinctive. Elle résulte d'oppositions d'intérêts directs, des terribles conditions de subsistance et surtout du complexe mental primitif.
L'agriculture et l'élevage étaient inconnus; la chasse, et subsidiairement la cueillette, procuraient les seules ressources; les migrations étaient souvent obligatoires; la possession de refuges (cavernes) également; les disettes devaient être fréquentes et affreuses, surtout sous les climats rudes. Il était inévitable que des conflits entre tribus se produisent et provoquassent les premières guerres proprement dites.
11 est hors de doute que si l'espèce humaine en était restée à icette forme de société, de petites tribus rivales, l'homme serait resté un animal rare très disséminé et il est probable qu'il aurait disparu par élimination ou dégénérescence.
Pour se maintenir et se développer, l'homme dut étendre les sphères de paix. Les tribus durent fusionner et s'agglomérer, et, à travers une évolution qui exigea des millénaires, en arriver «à ces vastes collectivités que l'on peut appeler : peuples ou nations.
Les manuels scolaires, les légendes, la tradition populaire, et en un mot, toute la culture historique vulgaire tendent à donner l'impression que l'histoire ne fut autre chose qu'une suite de guerres.
En réalité, les guerres étant, dans la vie des peuples, des événements particulièrement graves et frappants, la chronique officielle les a toujours notés. D'autre part, les détenteurs du pouvoir tenaient à faire proclamer hautement leur gloire guerrière, qu'ils tenaient pour la plus éclatante. C'est pourquoi, par exemple, les vestiges antiques nous livrent surtout le souvenir des hauts faits d'armes que les Rois voulurent faire passer à la postérité. (Ces faits sont malheureusement rapportés avec une telle partialité qu'ils sont bien souvent sans rapport avec la vérité). (Cependant, le bon sens même indique que jamais une grande civilisation n'aurait pu s'édifier eu période de guerre permanente.
C'est ici que nous rencontrons les lacunes historiques les plus graves. En effet, l'histoire proprement dite ne commence qu'avec les grandes civilisations antiques, Lorsqu'elles sont déjà parvenues à un très haut degré de développement. Or, il est utile de rappeler que l'édification de civilisations aussi étendues et aussi poussées, implique premièrement le rassemblement de vastes collectivités humaines vivant en paix.
Pour réunir les bases et les conditions d'une grande civilisation, il fallut que la paix s'établît entre les tribus et les clans. Il fallut même souvent que de larges formations politiques se fondissent en une. (La civilisation égyptienne, par exemple, ne prit son grand essort qu'après l'union de la Haute et de la Basse Egypte). 1 '
Nous posons donc comme postulat historique que la civilisation est le produit de la Paix.
• • *
Ceci dit, il reste que dans l'antiquité les civilisations ou les nations constituées pratiquèrent la guerre d'une manière souvent implacable. Les guerres reprenaient alors un caractère primitif féroce et simpliste. L'envahisseur détruisait et tuait absolument tout ce qu'il n'emmenait pas comme esclave ou comme butin. C'était, déjà, une forme de guerre totale.
Cependant, cette forme de guerre n'était pas absolue et unique. La passion effroyable d'anéantir le peuple ennemi se tempérait, relativement, du désir de régner sur de plus vastes territoires et d'en tirer profit plus intelligemment, c'est-à-dire avec un effort et un risque moindres.
Aussi voyons-nous, dans les stades de haute civilisation antique, se développer la conception de la guerre, non plus simplement de dévastation et de pillage, mais, plus exactement, de conquête et de colonisation. Conception et méthode que devait porter à leurs plus hauts points la dernière et la plus grande civilisation de l'antiquité : Rome.
Dès l'instant où une région était conquise, et l'autorité romaine établie, le conquérant, loin de détruire, construisait et développait. Et cela d'autant mieux que le degré de civilisation du conquérant était infiniment plus élevé que celui des conquis. 11 est en effet absurde de croire que Rome dut la conquête du monde uniquement à sa suprématie militaire. Il est hors de doute que Rome, — dont l'Empire allait d'Angleterre aux confins de l'Egypte, et du Bosphore à l'Atlantique — aurait été incapable de se maintenir par la seule force de ses garnisons militaires dispersées et nécessairement faibles.
La «Paix Romaine» ne fut pas seulement une formule orgueilleuse et ne fut pas un mythe, elle fut une puissante réalité, elle élargit la sphère de paix au monde connu de l'époque. C'est dans le cadre de cette paix que la civilisation connut un universalisme absolument nouveau et qu'une immense portion d'humanité réalisa en quelques siècles un progrès extraordinaire. Au point qu'aujourd'hui encore, la culture, les notions juridiques et sociales, etc., de l'ancienne Rome pénètrent et dominent nos civilisations. Mais c'est cependant là, pour nous, le signe d'une grave incapacité à être véritablement de notre temps.
Notre culture «classique» continue à rabâcher les notions de droit et de politique romains jusqu'à tenir pour axiomes les anciennes locutions latines. Tout ce que l'on a retenu, par exemple, de la «Paix romaine» est le : «Si vis pacem, para bel lu m».
En répétant stupidement cette formule et en prétendant l'appliquer, on n'oublie qu'une chose : Que le monde n'est plus ce qu'il était aux temps de la Rome antique. Que les conditions po-litiaues, économiques, sociales, techniques et autres sont totalement différentes de ce qu'elles étaient à cette époque et que, en définitive, les contingences actuelles de la guerre sont complètement différentes de celles d'il y a deux mille ans.
11 serait aussi stupide de vouloir aujourd'hui établir la paix dans le monde par la méthode romaine, que de vouloir résoudre la crise de notre économie industrielle en retournant aux pratiques du troc de la préhistoire.
Le Moyen-Age et la Féodalité connurent, en ce qui concerne la guerre, un état de chose très particulier. La caractéristique politique du moven-âge consiste en une subdivision juridique et territoriale quasi infinie.
Rois, suzerains, vassaux, seigneurs, possédaient des portions parfois infimes de territoires, et il y avait de plus le pouvoir temporel des autorités religieuses, les communes plus ou moins indépendantes, etc...
De cette infinité de pouvoirs et d'«Etats» devait tout naturellement résulter une infinité de rivalités et de guerres.
C'est cependant une erreur trop répandue, de croire que le moyen-âge fut une tuerie générale et permanente. Au contraire, rarement des cités et des peuples connurent des périodes de paix aussi longues et aussi fructueuses.
D'autre part, ce que l'on nommait «guerre», était communément le fait de quelques centaines de «gens d'armes» qui se livraient une bataille décisive; après quoi l'on concluait la paix et l'on payait rançon pour les prisonniers de marque.
En second lieu, et ceci est essentiel, la guerre, était, sauf exception, l'affaire des seigneurs, des chevaliers et des mercenaires. (Ces derniers étant d'ailleurs recrutés parmi ce qu'il y avait de moins honorable). L'ensemble des citoyens ne participait aucunement à la guerre ; il subissait parfois les excès de la soldatesque et, pour le reste, changeait de souverains ou de juridiction sans en être, d'habitude, autrement bouleversé.
Enfin, n'oublions pas que, dans une large mesure, la morale régnante du moyen-âge et l'esprit du temps se détournaient nettement de la psychose guerrière.
Sans que cela diminue les responsabilité du catholicisme dans ce domaine, il faut reconnaître que le moyen-âge européen — que l'on pourrait appeler : la civilisation catholique — attachait à la guerre une idée de péché et de punition. Pour la conscience publique de cette époque, la guerre n'avait guère de prestige et était avant tout, voire exclusivement, un fléau !
Pour que les guerres cessassent d'être condamnables, il fallut qu'elles fussent proclamées «saintes», comme ce fut le cas pour les croisades.
Les croisades qui furent les grandes guerres du moyen-âge, furent en même temps, les premières guerres de cette importance, à bases mystiques et religieuses.
Ajoutons que, dans l'ensemble, les huit croisades furent un échec complet. Elles n'atteignirent nullement leurs buts essentiels et ne convertirent aucunement les «infidèles». En ce sens, les croisades démontrent déjà que la force des armes, même victorieuse, est inopérante contre les réalités historiques essentielles. (De même que, quelques siècles plus tôt, l'invasion et les conquêtes arabes avaient été incapables de convertir l'Europe à l'Islamisme). ;
Les conceptions et les méthodes de guerre propres au moyen-âge féodal, survécurent longtemps à cette organisation politique et sociale de l'Europe. En fait, elles persistèrent jusqu'à la fin de la royauté effective et jusqu'au seuil de l'époque contemu poraine. .
La guerre était décidée par les Rois et leurs conseillers, pour des raisons et des buts dont leurs sujets n'avaient guère idée. Malgré la centralisation du pouvoir, les citoyens changeaient de souverain ou de nationalité de par les hasards des succès militaires et des combinaisons de leurs maîtres.
C'est ainsi que les Lorrains apprirent un beau jour qu'ils avaient un Roi polonais et que les provinces qui constituent la Belgique actuelle, furent successivement : Bourguignonnes, Espagnoles, Autrichiennes, Françaises et Hollandaises.
Au surplus, même lorsqu'elles avaient pour enjeu la jx)sses-sion de vastes territoires, les guerres étaient relativement peu destructrices. Bien souvent encore une unique bataille en décidait.
Citons, entr'autres, à l'appui de ces considérations :
La bataille de Pavie en 1523, où François Ier fut vaincu et fait prisonnier par l'année de Charles-Quint, et qui décida de la possession de la couronne Impériale d'Allemagne.
La bataille de Lens en 1648 où Condé remporta une victoire qui donna l'Alsace à la France et établit la prépondérance de cette royauté en Europe.
La victoire des Dunes remportée par Turenne en 165S et dont — disent les chroniqueurs — «l'Espagne ne se releva jamais» !
Toutes ces brillantes campagnes militaires furent menées par des mercenaires commandés par des officiers, en général, nobles qui pouvaient «acheter» un régiment comme on achetait un équipage.
Quant aux peuples, on peut répéter ici la remarque, déjà faite en ce qui concerne le Moyen-Age, sur l'absence de passion publique dans la guerre.
Lorsque Louis XIII, XIV ou XV étaient en guerre avec l'Espagne, l'Autriche, les Pays-Bas, l'Allemagne ou l'Angleterre, et malgré que ces pays fussent, à ce moment, infiniment plus étrangers les uns aux autres que de nos jours — il ne s'en suivait aucunement la haine des peuples, et quant aux guerriers eux-mêmes, qu'ils fussent simples mercenaires ou grands capitaines, rappelons qu'il était alors courant qu'ils changeassent de camp et de service. .
Il y avait .même des centres producteurs de soldats fort appréciés, comme les Suisses, qui se payaient un prix assez fort. (Ce fut ainsi, la «Oarde Suisse» qui, le 10 août 1792 fut le dernier rempart militaire de la Royauté française succombant devant la révolution).
Les considérations qui précèdent, jointes à d'autres qu'il faudrait analyser ailleurs, nous amènent à nommer la période historique dite «moderne» : l'ère des guerres politiques. Ces guerres ne furent en effet ni nationales., ni réellement économiques. Et si elles eurent parfois des conséquences fort pénibles pour les peuples, elles n'affectaient ni leur psychologie, ni même, eu général, leurs intérêts directs et profonds.
La révolution française ei le "cas,, Napoléon.
La révolution française, en donnant au peuple, l'illusion de posséder la plénitude de ses droits, lui inculqua, du même coup, la notion de patrie. Aussi, lorsque les armées alliées contre-révolutionnaires envahirent la France, la révolution s'identifia à la patrie et les volontaires partirent à la guerre défendre leur liberté.
Ainsi naquit la guerre Nationale.
11 ne rentre pas dans ce cadre d'établir à quel point la Révolution Française réalisait le droit du peuple, si la guerre était le seul moyen de sauvegarder cette révolution et, enfin, si l'ennemi principal de la liberté réelle du peuple français n'était pas autant au dedans qu'au dehors.
Ce qu'il convient pourtant de rappeler ici, c'est que le dynamisme patriotique et guerrier, né à l'occasion de la Révolution
aboutit à l'Empire et à l'impérialisme napoléonien.
♦ * ♦
11 vaut la peine de s'arrêter quelque peu à ce «cas» Napoléon .
Autant lorsqu'elle voulut l'exalter que lorsqu'elle voulut le rabaisser, la légende a défiguré Napoléon. Il semble que le caractère épique de l'aventure napoléonienne éclipse totalement son aspect essentiellement politique.
Ce n'est point simplement par goût de parade que le premier Empire français s'ingéniait à copier la Rome antique jusque dans ses attributs. Le petit Bonaparte, en effet, ne rêvait rien moins que de rééditer la «paix romaine» en établissant sur le monde l'hégémonie de la France.
Il poursuivit son but avec une volonté et une méthode implacables. Ne pouvant prétendre annexer purement et simplement les autres nations, il imagina de laisser aux pays vaincus leuj* structure nationale en mettant sur leurs trônes ses vassaux, se9 frères, et, s'il avait pu, ses fils. Si bien que ce ne serait qu'un demi paradoxe de sonsidérer Napoléon, non certes comme un pacifiste!, mais comme un pacificateur. 11 est en effet exact théoriquement que si l'Europe entière eut, été soumise définitivement à l'Empire, c'était théoriquement la paix permanente.
»
Mais il s'agissait là d'un rêve profondément utopique né dans la pensée d'un homme qui croyait à la toute puissance des armes. L'histoire était arrivée à un point où cette force était de moins en moins capable de transformer, de manière profonde et durable, la structure du monde.
La force des armes pouvait encore violer les frontières, imposer, momentanément, aux vaincus des conditions draconiennes, répandre la ruine et la mort; elle ne pouvait plus agir sur les conditions réelles qui déterminent la vie des peuples.
Au reste, lorsque l'Empire français s'écroula définitivement — durant les quelques heures que dura la bataille de Waterloo — il ne resta du rêve Napoléonien qu'une grande leçon historique, malheureusement incomprise.
11 est à souligner, enfin, qu'au sortir de cette prodigieuse aventure, la France — après avoir vaincu l'Europe, puis avoir été elle-même écrasée — se retrouva exactement ce qu'elle était avant l'épopée Napoléonienne. Ainsi, si cette dernière inaugura l'ère des guerres contemporaines, elle inaugura, du même coup, l'ère
des guerres objectivement inutiles et historiquement absurdes.
* • *
Environ un demi siècle plus tard, la démonstration de ce caractère relativement nouveau de la guerre devait être faite de manière bien plus éclatante encore.
Le second Empire français, voulant reprendre la tradition du premier, déclancha la guerre Franco-Allemande de 1870.
On vit alors les deux plus puissantes nations militaires d'Europe se livrer une guerre très dure qui se termina lpar l'annexion de l'Alsace-Lorraine à l'Allemagne. C'était ainsi la 5" ou 6e fois que ces territoires changeaient de camp et retrouvaient une «mère-patrie»! (tant et si bien qu'après un nouveau retour à la France en 1918, une bonne part des Alsaciens voudraient enfin «s'appartenir» et aspirent à l'autonomie).
La guerre Franco-Allemande de 1870 aura eu cette autre particularité d'être la dernière guerre qui fut payée par la patrie succombante. Avant de quitter le pays et en signant la paix, l'Allemagne exigea et obtint presque immédiatement cinq milliards d'or.
Que l'on veuille bien remarquer, en passant, que de nos jours, alors que la richesse a si formidablement augmenté depuis 1870, de nombreux et importants Etats européens seraient totalement incapables de payer cinq milliards d'or. A plus forte raison après une guerre qui aurait ruiné leurs finances. Ceci ne fait que confirmer ce qui fut déjà affirmé avant 1914 : «la guerre ne paie plus»!
Il est difficile de dégager de la grande guerre tous les enseignements qu'elle comporte. Premièrement, parce que le recul historique, qui permet une objectivité suffisante, n'est pas encore acquis. Secondement, parce que toutes les conséquences de cette conflagration mondiale ne sont pas révolues.
Toutefois, si de nombreux aspects de la guerre 1914-1918 mériteront encore longtemps d'être étudiés, on peut aisément en avoir dès maintenant une vue d'ensemble, et en tirer certaines conclusions.
Il est avant tout certain que cette guerre n'eut pas qu cause locale, précise et déterminée. Elle fut, de toute évidence, l'aboutissement naturel et fatal de toute une évolution mondiale. Autrement dit, le moment de rupture d'une situation générale tendue à l'excès.
Celui qui peut se replonger dans l'atmosphère d'avant 1914, reconnaîtra que la psychose régnant à cette époque à propos de la guerre, était un sentiment de fatalité. Sauf chez quelques minorités infimes de chauvins frénétiques, la passion publique en faveur de la guerre était inexistante, et cependant tout esprit réfléchi
prévoyait qu'il y aurait, un four, la guerre !
%
La seule explication -de cette prescience était d'ordre essentiellement économique. 11 était ancré dans la pensée collective, que les rapports entre nations comme entre les entreprises privées reposaient sur la loi de concurrence. De ce fait, un moment devait arriver où cette concurrence prendrait un caractère si aigu qu'elle déclancherait automatiquement la guerre.
Aujourd'hui, encore, cette explication est généralement tenue pour exacte et est reprise par la plupart des critiques sincères.
Nous croyons, quant à nous, que cette explication n'a pour elle que sa simplicité extrême et qu'elle est en réalité fausse.
Premièrement, si l'on doit admettre que certaines nations européennes avaient des intérêts économiques profondément opposés, il est certain que la plupart des pays qui furent précipités dans la tourmente n'avaient aucune raison suffisante, de cet ordre, pour se lancer dans une telle aventure. Quelles raisons économiques péremptoires poussèrent, par exemple, l'Italie et la Roumanie à entrer dans la danse infernale, alors surtout que celle-ci duraift depuis de longs moins ?
Enfin, s'il est exact qu'une situation économique mondiale absolument désespérée, peut conduire à une solution tout aussi dcsespcréc que la guerre, c'était loin d'être le cas en 1914. Certes, le développement industriel avait amené une sévère concurrence internationale, sans que pourtant la situation économique n'eut rien de désastreux.
Les années qui précédèrent la guerre ne se signalèrent point par une recrudescence particulière de faillites, de ruines, d'épidémies de chômage, etc .. Les finances publiques de la plupart des pays étaient saines. En un mot, comparée à la situation présente, l'économie d'avant guerre semble édénique !
La vérité, c'est qu'il n'y a pas d'explication véritablement rationnelle de la guerre 1914-1918; elle fut, au contraire, dans ses origines, son développement et ses conclusions, le triomphe absolu de l'irrationnel, de la confusion et d£ l'absurde. Elle fut un aboutissement et un triomphe sanglant de traditions morales et politiques périmées que le capitalisme moderne avait conservées et exaltées.
On reste d'ailleurs confondu devant l'ignorance profonde des dirigeants et responsables qui déclanchèrent et présidèrent cette guerre. Tous apparurent comme des apprentis sorciers qui déchaînèrent des forces inconnues.
Chose probablement unique dans l'histoire des guerres : les chefs, les techniciens et les spécialistes militaires furent les premiers surpris d'un développement des opérations et des effets d'une technique qu'ils croyaient diriger.
La guerre devait être de mouvement et courte. L'état-major belge considérait ses forts comme imprenables alors qu'ils furent détruits en quelques heures de bombardement ! La méthode de Fétat-major français préconisait l'offensive à la bayonnette en permanence ! L'amirauté anglaise se croyait maîtresse absolue des mers et ne soupçonna point le rôle si important que pouvait jouer la pratique de la guerre sous-marine. Quant a l'Allemagne, la suprématie de son armée devait lui assurer une victoire foudroyante sur la France. La science de ses stratèges sembla ignorer qu'une armée plus faible pouvait reculer, fatiguer et échelonner l'adversaire, puis réagir au bon moment, etc...
Les économistes de leur côté avaient démontré qu'aucun Etat ne pourrait «tenir» plus de quelques mois à cause de l'épuisement des ressources financières. Or, l'appauvrissement financier ne joua à peu près aucun rôle dans la conduite de la guerre.
Mais si la guerre elle-même montra que les dirigeants manifestèrent une profonde ignorance des réalités, si elle fit voir qu'à une science défaillante ils durent substituer constamment l'improvisation, que dire de la paix qui termina cette lamentable aventure ?
Alors que la connaissance élémentaire des réalités économiques devait démontrer que la guerre était bien arrivée à un moment où elle ne pouvait plus payer, les hommes d'Etat, les diplomates, et toutes les «compétences» des pays vainqueurs proclamèrent hautement le contraire.
Sans doute, il y avait là une bonne dose de démagogie qui avait pour but de cacher aux peuples victorieux qu'ils avaient fait la guerre pour rien. Mais nous pensons que même chez ces honm.es politiques avertis, persistait l'idée traditionnelle et simpliste que le vaincu perd et que le vainqueur gagne. Idée sur laquelle la France — qui avait fourni à la guerre un tribut particulièrement sanglant — vécut pendant des années et qui se traduisit par la fameuse formule : «le boche payera» !
C'est dans cet esprit que fut établi le traité de Versailles.
Quand les historiens de l'avenir consulteront ce document, ils auront peine à croire qu'ils ne se trouvent point devant une fantaisie ou une mystification, mais qu'ils ont sous les yeux unie oeuvre des plus grands hommes d'Etat de l'époque.
A l'Allemagne épuisée et réduite à une demi-famine, on enlève toutes ses colonies, de riches portions de territoire national. On exige qu'elle livre du matériel ferroviaire et maritime. On dicte des conditions de commerce extérieur draconiennes, etc... Enfin, on lui impose une indemnité de guerre de cent soixante douze milliards de francs-or, dont le règlement est échelonné sur soixante cinq ans ! \ *
Nous ne retracerons pas l'histoire tragi-comique des «réparations». Toujours est-il qu'au bout de quelques années, et malgré tous les moyens de pression possibles, les vainqueurs, loin de toucher leurs 172 milliards, furent amenés à investir en Allemangne d'énormes capitaux qui furent finalement «gelés».
Ainsi finit un épisode de cette tragédie.
Car la tragédie ne cessa point pour cela.
On avait dit, et certains avaient cru, que cette guerre établirait un droit et un équilibre international nouveaux et serait, par conséquent, la dernière !
A quoi bon reparler des quatorze points de Wilson, de la Société des Nations et de tant d'autres initiatives qui furent brisées comme verre par la marche des événements !
Vingt ans à peine se sont écoulés et la guerre est à recommencer.
Aucun problème que la guerre devait résoudre n'a été résolu. Le grand règlement de comptes n'a servi à rien. Les mêmes hommes, pour les mêmes illusions, s'apprêtent à commettre les mêmes criminelles folies. Seuls les mots d'ordre, la couleur des drapeaux et les mythes ont superficiellement changé. Les causes profondes sont identiques, et quant aux conséquences,
elles nous laissent entrevoir l'absolu dans l'horreur.
* * *
Nous n'éprouvons pas le besoin de refaire une anticipation sur la guerre future.
Assez d'hommes clairvoyants et compétents ont dit avec l'éloquence terrible des chiffres et des faits ce que pourra être une guerre, dans l'état de la technique présente et future.
Nous soulignerons cependant quelques enseignements que les dernières données du problème permettent de dégager :
Devant le perfectionnement du machinisme guerrier et sa formidable capacité destructive, 011 avait tendance à retomber dans l'erreur de 1914 et à croire que la guerre serait courte.
Or, la puissance des armes offensives suscite naturellement des moyens de défense perfectionnés et l'élaboration d'une technique et d'une tactique adéquate. Si bien que l'expérience prouve abondamment que les guerres futures seraient nécessairement très longues et qu'elles seraient, dans toute l'acception des termes, des guerres d'usure et d'épuisement.
La guerre ne serait courte que s'il y avait, entre les blocs en présence, une énorme disproportion de forces. Mais par utf mécanisme politique et psychologique fort naturel, une grande guerre ne se déchainera précisément qu'au moment où existera un équilibre relatif des forces antagonistes.
Au surplus, les conséquences de la guerre de l'avenir seraient si effroyables que dans des moments de lucidité relative, les hommes d'Etat — qui portent par ailleurs les plus coupables responsabilités — n'hésitent pas à reconnaître que la guerre marquerait la fin de la civilisation européenne.
Si l'on entend par civilisation véritable, la morale et la culture, il n'y a pas de doute, ce sera la fin. Si l'on entend par civilisation la technique et une certaine structure sociale et politique, nous doutons objectivement qu'une guerre puisse la détruire totalement. Malheureusement, il ne s'agit pas d'oyae guerre La guerre de l'avenir serait, en réalité, l'engagement du Monde dans une succession de guerres sur un rythme de plus en plus précipité, et en fin de compte, dans une guerre permanente. ; | •
Car, en vérité, on ne voit aucunement quelle solution, quel équilibre, quelle paix réelle pourrait résulter d'une prochaine guerre. ( •;
La paix de Versailles marqua le point de départ et de préparation d'une guerre future plus générale que la précédente. On dira qu'il en fut ainsi parce que ce ne fut pas une paix juste.
Nous laissons à d'autres le soin de prévoir la paix juste qui pourrait résulter d'une prochaine conflagration mondiale ; mais nous ne croyons pas que l'on puisse poursuivre une utopie plus vaine.
En réalité, la guerre n'apparait plus comme une crise passagère qui pose un problème de rapport de forces entre nations. La guerre pose aujourd'hui directement le problème du destin de l'humanité entière. C'est en ce sens surtout que l'on doit parler de guerre totale car elle engage véritablement tout.
Lorsque Montaigne proclama que «la guerre est le témoignage de notre imbécilité», il ne faut pas voir là simplement une boutade de misanthrope ou une imprécation de moraliste, mais une réflexion profonde découlant d'un examen objectif de la question.
Nous avons vu que la guerre, à toute époque, fut chaque fois provoquée par des conditions particulières et pour des «raisons» qui semblaient aux hommes péremptoires et fatales.
Cependant, à y regarder de près, ces raisons péremptoires résultaient chez les intéressés de l'incompréhension de leurs intérêts véritables. L'intérêt véritable de familles primitives, qui se rencontraient au coin d'un bois, était incontestablement d'associer leurs faibles moyens plutôt que de s'entre-massacrer. De même que l'intérêt véritable des cités et des peuples de l'antique Mésopotamie était de s'unir et de prospérer en commun plutôt que de s'anéantir. De même encore que l'intérêt réel des croyants du moyen-âge n'était pas de prétendre convertir les «infidèles» par le fer et par le feu, et de périr en masse sur "le chemin des croisades.
C'est en ce sens que la guerre est bien la démonstration de la plus grave carence de l'intelligence humaine et c'est pourquoi la parole de Montaigne est si juste.
Or, par une cruelle ironie du sort, c'est au moment où la guerre devient plus imbécile que jamais que l'on parle de guerre «Idéologique».
A vrai dire, il n'y en eut jamais d'autres. De tous temps la guerre fut la conséquence de conceptions purement idéologiques. En ce sens on peut dire qu'il n'y a pas de causes de guerre rationnellement valables. La cause initiale de la guerre réside dans l'homme, dans l'infériorité de son complexe mental. Cela seul explique que, la guerre fut pratiquée sous toutes les formes d'organisation sociale, qu'elles fussent les plus arriérées ou les plus évoluées.
Et si l'essentiel de notre thèse consiste à juger la guerre non seulement en principe mais comme un phénomène variable, c'est simplement que la guerre varie effectivement dans ses contingences et surtout dans ses conséquences historiques.
* ♦ •
Cependant, les guerres actuellement envisagées méritent particulièrement d'être appelées «Idéologiques». En effet, ce qui caractérise la situation présente c'est que — tout au contraire de ce qui existait au temps des guerres que nous appelions politiques — l'opinion publique participe à la guerre dans une mesure de plus en plus grande.
La préparation psychologique des masses devient un facteur guerrier indispensable et peut-être décisif. Dans la guerre totale, le matériel le plus important est, sans conteste, le matériel humain. La mise au point du potentiel de guerre exige qiue cette préparation psychologique soit poussée jusqu'au fanatisme aveugle et mystique.
Les masses comprennent confusément que la guerre devient une aventure mortelle générale et collective; pour les y mener, il faut un consentement unanime et délirant.
Dernières (ormes de l'illusion guerrière.
Dès l'instant que l'on aborde l'examen des prétextes et des possibilités de guerre qui menacent le monde présent, il faut bien s'appliquer à ne pas s'égarer dans le secondaire et le détail.
Celui qui perdrait de vue un instant l'essentiel du problème, serait vite amené à chercher vainement le droit parmi ces revendications innombrables qui agitent à peu près toutes les collectivités politiques, raciques, nationales, etc.
Sans doute, il est possible, en certains cas, de déterminer où se trouve le droit formel. 11 est par exemple certain que pour l'Ethiopie en 1936 et la Chine en 1937... nous nous trouvons devant des violations très caractérisées du droit international écrit.
Mais reste à savoir s'il existe un droit international valable ?
Or, il ne peut exister de véritable droit international dans un monde gui continue à reconnaître le droit de la guerre.
Ce qui indigne une partie de la conscience publique, c'est que, dans les deux cas précités et dans d'autres, l'agresseur est militairement infiniment plus fort que l'assailli. Mais nous ne croyons pas que ce'la change beaucoup à la signification historique et morale des faits.
C'est ainsi, par exemple, que si le rapport des forces militaires venait à se renverser — dans le cadre de la pratique du droit international actuel — nous assisterions, vraisemblablement, à une annexion des colonies italiennes par l'Ethiopie et à une invasion du Japon par la Chine. De sorte que le droit changerait simplement de camp.
C'est pourquoi si l'on peut s'indigner et protester chaque fois que se commet une violation du droit, il est vain de se ranger moralement ou pratiquement dans l'armée du peuple assailli et victime. Ce qui importe, en effet, ce n'est point la victoire d'une armée et la défaite de l'autre; ce qui importe, c'est d'établir, dans le monde, un droit réel. Or, la 'guerre confond le droit avec la force.
Ce qui permet à des hommes politiques de déclarer ouvertement que «le droit c'est la force». Mais alors, comme jle disait déjà J.-J. Rousseau : «puisque le plus fort à toujours raison, il ne s'agit que de faire en sorte qu'on soit le plus fort». De là une course à la force, aux armements, à la guerre et à la mort dans laquelle le droit perd toute signification.
En fait, du moment que la foi dans la guerre subsiste, il est évident que les occasions de guerres ne manqueront jamais. A l'heure présente, rien que dans l'Europe orientale, il est des dizaines; il pourrait y en avoir autant demain en Amérique du Sud, en Asie et partout. Enfin, comme si ce n'était pas suffisant, une guerre de l'avenir, de par l'interdépendance des intérêts, ne pourrait rester localisée et entraînerait inéluctablement une généralisation du conflit.
* ♦ *
Pourtant dans cet infernal imbroglio, il est possible d'opérer une certaine classification et de distinguer quelques motifs de guerre essentiels, ou, pour mieux dire, quelques formes précises de l'illusionisme guerrier.
11 y a premièrement la plus surannée de toutes, la guerre pour le profit, la guerre qui rapporte. C'est avec cette espérance dérisoire que des nations dites «pauvres» se lancent fougueusement dans une politique de force et de conquête.
Jamais mieux que dans des cas semblables, il n'est apparu que l'idéologie guerrière échappe au contrôle de la raison et du simple bon sens. Alors que ces pays déplorent hautement leur misère ! ils engloutissent la plus grosse part de leurs ressources dans leur surarmement et ils ne peuvent ignorer non plus que pour parvenir à leur «victoire» il leur faudra aller jusqu'à l'épuisement.
Enfin, s'il était encore possible qu'une nation s'enrichisse par la guerre, encore faudrait-il, pour qu'elle puisse conserver son butin et en jouir paisiblement, que le monde connaisse une stabilité suffisante.
Or, dans les hypothèses les plus favorables aux politiques d'expansion impérialiste, une guerre ne pourrait que déplacer les avantages. Si bien que les nouveaux états pauvres n'auraient d'autre souci que de préparer leurs revanches contre les nouveaux riches. i :
C'est pourquoi nous avons bien raison de dire que la guerre est absolument incapable de créer un état d'équilibre stable. En
d'autres termes : La guerre est incapable de créer la paix.
♦ • •
Une autre illusion dangereuse et tenace, réside dans l'espérance de réaliser par la guerre un ordre nouveau.
Effectivement, de tout ce qui précède, il résulte clairement que les conceptions politiques, économiques et morales qui guident le monde engagent l'humanité dans une évolution catastrophique et que, en un mot, une telle civilisation est condamnée.
Déjà, entre les années 1914-18 les horreurs de la guerre suscitèrent une sorte de révolte et d'exigence morale qui se traduisait par cette extraordinaire formule «guerre contre la guerre», la guerre pour que ce soit la dernière guerre ! Et l'on crut qu'il suffirait de supprimer quelques facteurs ou quelques prétextes de guerre pour supprimer à jamais la guerre elle-même.
Malheureusement, comme nous l'avons vu, les causes réelles et profondes de la guerre ne résident pas dans des situations particulières et momentanées; mais dans l'incompréhension des hommes par rapport à leur histoire et à leurs intérêts supérieurs.
La foi dans la guerre, comme moyen d'action historique et social, reste si vivace que nombre de ceux qui dénoncent l'ordre social présent, en arrivent à faire confiance à la guerre pour y substituer le règne de la justice sociale et de la paix.
Pour les tenants de cette tactique, la guerre est un moyen assurément horrible, mais elle leur semble, en désespoir de cause, le seul efficace et possible. C'est la justification implacable des pires moyens en vertu des buts qu'ils prétendent servir. Or, en cette matière plus qu'en nulle autre, il est faux que les moyens sont indépendants de la fin. Nous disons ici que, bien au contraire, les moyens déterminent la fin.
7 •
Cela est premièrement vrai moralement.
La guerre est, par définition, la violation systématique de toutes les notions morales. En conséquence, une collectivité qui mène prétendument la guerre pour un ordre social et moral supérieur, est amenée à pratiquer, à glorifier et à s'imposer des manières de penser et d'agir qui sont la négation absolue de l'idéal qu'elle prétend servir.
Il arrive alors bientôt que l'idéalisme originel soit submergé, étouffé et anéanti par la psychose inéluctable de la guerre. Quant à prétendre qu'une fois la guerre terminée, l'idéalisme primitif renaîtra dans toute sa pureté et que la guerre n'aura été qu'un cauchemar passager et un «moyen», c'est faire preuve d'une méconnaissance totale des réalités.
On ne peut établir un ordre social basé sur le respect de la vie, de la dignité et du droit humain, chez un peuple qui a systématiquement piétiné ces valeurs.
On ne peut instaurer la liberté dans une nation ^ui vient de vivre volontairement dans la soumission.
On ne peut, enfin, fonder un monde basé sur une moralité supérieure avec des masses qui sortent de l'école du crime.
Mais en dehors de cet aspect de la question, des raisons plus matérielles nous montrent l'incapacité positive de la guerre. C'est une fois encore, le rappel des capacités destructives de la guerre actuelle. Pense-t-on assez à ce que sera la situation des «vainqueurs», aussi bien que celle des vaincus ? à quel degré d'épuisement ils seront arrivés, au milieu de quelles ruines ils se retrouveront et croit-on que de telles conditions soient favorables à la réalisation d'un ordre économique et social supérieur ?
Il n'y a pas de doute qu'une guerre entreprise dans un but de progrès et de libération sociale n'aurait, comme toute autre guerre, que des résultats négatifs, destructifs et régressifs.
En définitive, lorsque l'on se demande quelle terrible illusion parvient encore à jeter les peuples les uns contre les autres et à leur faire accepter si allègrement la marche à la guerre; on trouve, essentiellement, la foi naïve dans la force.
L'atavisme joue là un rôle prépondérant. Des millénaires durant, la force physique constituait une énorme supériorité. Depuis longtemps, cependant, cette force a cessé de jouer ce rôle primordial. Dès que la civilisation naquit, la force devint secondaire vis-à-vis de l'intelligence et de la connaissance. Aujourd'hui (au delà d'un certain minimum vital bien entendu) la force physique est devenue superflue.
Celui qui dispose de capacités physiques extraordinaires n'a plus guère à en user que dans des exibitions ou le sport ! Et peut-être faut-il voir dans l'engouement des masses pour les sports brutaux et les performances absurdes le vieux culte de la force qui n'a plus d'autres raisons d'être.
Nous nous trouvons donc là devant une de ces notions d'un puissant simplisme. Cela est si vrai que, en général, plus un individu est simple, plus il croit à la force; dès qu'il est indigné, froissé, qu'il se croit lésé ou menacé, sa raison rudimentaire ne lui suggère que de frapper et de se battre, alors même que les conséquences de ces gestes ne peuvent être, de toute façon, que regrettables.
Sous des formes plus policées, cette mentalité règne encore dans le monde. Dès qu'une opposition réelle ou imaginaire surgit entre deux nations, l'idée primaire et barbare s'impose : « 11 faut se battre». Quant aux conséquences et aux résultats tangibles de la bataille, les peuples y songent à peine ou pas du tout! Exactement comme une tribu de sauvages qui se lance dans la guerre par obéissance aux injonctions du sorcier.
Avec la différence que dans une guerre entre tribus primitives le compte profits et pertes peut être favorables; tandis que dans nos guerres présentes et futures le bilan ne peut être que désastreux .
En vérité la civilisation actuelle a, pratiquement dépassé le stade d'évolution où la force avait une valeur progressive et constructive. La toute puissance de la force n'est plus qu'un mythe; le plus dangereux et le plus malfaisant de tous.
Nous croyons „que les conclusions de notre étude s'en dégagent assez nettement pour qu'il ne soit pas nécessaire d'y revenir longuement.
Nous ne pouvons que répéter; que la guerre, qui fut toujours un mal et rien qu'un mal, est devenue, de par l'évolution historique, un mal et un danger tels qu'ils menacent tout l'acquis humain.
Contre une telle réalité, tous les arguments prennent figure d'ergotages et de sophismes.
0 y a là une de ces vérités qui semble si évidente à ceux qui l'ont comprise, mais qui, cependant, loin de s'imposer à tous,» reste ignorée ou niée par le plus grand nombre.
Jamais mieux qu'à propos de la guerre, on ne s'aperçoit que l'intelligence des hommes — dans la compréhension des grands problèmes de leur nature et de leur destin — ne progresse qu'avec une désespérante lenteur.
11 ne s'agit pourtant point de philosopher, il s'agit (le vivre. C'est pourquoi, malgré que nous'ayons, en passant, touché le fond du pessimisme, nous puisons, dans la vision cruellement exacte des réalités, des raisons de confiance et d'espoir.
L'espèce humaine, partie d'une animalité inférieure, a pu assurer sa conservation d'abord, son développement et sa civilisation ensuite. Elle a vaincu, pour y parvenir, tous ses ennemis, toutes les difficultés. Nous vivons en un temps où l'on se transporte d'une hémisphère à l'autre en quelques dizaines d'heures, où l'on se parle à travers l'espace, cù la technique pourrait assurer la subsistance aisée de chacun. Les hommes ont vaincu la distance, ils peuvent vaincre le besoin et nul ne peut dire où s'arrêtent leurs possibilités.
Entre les petites troupes de pithécanthropes qui erraient dans la jungle, autant gibier que chasseurs, et les collectivités humaines présentes, il y a un monde ou, plus précisément, l'histoire du monde. A défaut de toutes autres conclusions, on doit au moins y voir la preuve d'une extraordinaire vitalité de l'espèce.
C'est en cela que nous persistons à espérer. Nous ne croyons pas que la guerre soit le destin permanent de l'humanité,
parce que nous ne croyons pas au suicide de l'humanité.
» * *
Peut-ctre cependant que notre voix, à nous pacifistes, sera encore couverte par le canon.
La guerre est un mensonge, non seulement puissant mais rusé. 11 a pris, au cours des âges, à peu près tous les masques qui peuvent duper la crédulité humaine. Mais on en trouve toujours de nouveaux.
A tous les points de l'horizon, des masses énormes déjà armées matériellement et idéologiquement forment d'innombrables bataillons prêts à se lancer dans une mêlée apocalyptique.
Déjà les leçons d'un passé, pourtant proche, semblent oubliées. Les fils des morts de 1914-18 acceptent la même fatalité qui écrasa leurs pères. Déjà aussi la phalange des pacifistes s'éclaircit. Beaucoup qui avaient juré que : «plus jamais !...» ne résistent pas aux mensonges et aux illusions du jour. Ils veulen;t croire que : «cette fois-ci ce nyest pas la même chose que toujours !», qu'il s'agit «vraiment» de la liberté, du droit et du reste, lis ne s'aperçoivent point qu'à la liberté et au droit chancelants, la guerre porterait le dernier coup; qu'il n'est plus qu'une chance de sauvegarder la renaissance de h liberté et du droit, c'est de maintenir la paix coûte que coûte. Ils ne comprennent point que les régimes de force et d'oppression se nourrissent et vivent de la guerre et de sa préparation et que, pour oes dictatures, c'est la paix seule qui est mortelle. Ils ne comprennent pas, enfin, qu'il faut, à la fureur guerrière, opposer le refus du combat par las mêmes armes; car ce n'est que la paix qui peut vaincre la guerre.
C'est pourquoi aussi le pacifisme ne peut être conçu comme une attitude purement passive et négative, mais doit, au contraire prendre un caractère combattif. La paix sera le triomphe de la" conscience et de la raison sur la bêtise et sur l'instinct, c'est une lutte qui réclame un effort tenace.
Nous savons que la guerre, si elle ne peut plus rien d'autre que détruire, prétend néanmoins encore faire et refaire l'histoire. Contre cette brutalité aveugle, totale et stupide, les seules armes de la paix restent la conscience et la raison. 11 faut s'en servir fermement. t •
Il faut armer les consciences. Il faut affirmer que les caractères et les droits de chaque collectivité humaine sont légitimes et que la force des armes ne crée ni le droit ni le pouvoir réel d'y porter atteinte. Il faut organiser la résistance à la force militaire par la force civile tant sur le plan économique que sur le plan culturel et moral.
Et si un jour le tocsin sonne la guerre, ceux qui auront lutté jusqu'à la dernière heure et qui verront déferler le courant dévastateur, n'auront plus à répondre que devant leur conscience. Il ne nous appartient pas d'en décider.
Si alors encore on ne peut ni ne veut séparer son destin de celui de l'humanité, que l'on songe aux survivants de «la dernière guerre» qui chercheront la vérité dans un monde en ruines. Tout ce que nous pourrons pour eux, c'est faire en sorte qu'ils sachent que jusque dans la guerre dont ils recueillent le cruel héritage, il se trouva des hommes qui avaient compris et qui surent dire : NON !
Ernestan.
— Le Noyautage de l'Armée ................................................1.00
— .De l'antimilitarisme à l'anarchie ........................0.25
— Le Châtiment de Dieu ........................................................................2.00
— La Russie (U.R.S.S.) et la S.D.N..............0.25
— La stérilisation et le point de vue anarchiste 0.25
— Les Eglises brûlent en'Espagne. Pourquoi? 0.50
— Problèmes d'Espagne, (épuisé) 0.50
— Le Capitalisme international devant l'Es
pagne révolutionnaire, (épuisé) 0.50
ERN'ESTAN : Le Socialisme contre l'autorité ....................................3.00
B. DE LIGT : Mobilisation contre toute .guerre
(Avant-propos de Hem Day) 2.50
B. DE LIGT : Le Problème de la Guerre Civile ........................1.00
N. BARTOSEK : La Stérilisation sexuelle. Préface de Hem
Léo CAMPION: Zo d'Axa. (Avant-dire de G. Derycke) 10.00
XXX: La Position de la F.A.I. (Résolution
d'un Plénum de la F.A.I......................................0.50
XXX: La C.N.T. Le Gouvernement et l'Etat 0.50
HEM DAY: La véritable et intime pensée de F. Ferrer 0.50
— • Aperçu de la question religieuse en Espagne 1.50
— La confession de Bakounine ....................................1.00
— Erasme. Préface de Han Ryner, (épuisé) 7.50
— L'Espagne en marche ........................................................................1.00
— Problèmes d'Espagne (nouvelle édition) 1.00
— Le Fascisme contre l'intelligence Franco
contre Goya) .................................................................2.00
S. deGORTER: Primauté du social dans la littérature 1.00
MUHSAM Erich : La liberté comme principe social ........................1.00
XXX: Les Martyrs de Chicago ............0.50
ERNESTAN, R. PI-
RON, W.V. OVERS-
TRAETEN : Renaissance du Socialisme .................................2.00