Michel BAKOUNINE

L'Organisation

de

l'Internationale

5 cent.

GENÈVE........

Edition du « RÉVEIL,, Rue des Savoises, 6- -

Nous reproduisons de Z'Almanach du Peuple pour 1872, publié par la Commission de propagande socialiste à Saint-lmier et dont le succès fut tel qu'il fallut en imprimer une seconde édition, cet article de Bak*uniney qui résume bien les idées du grand révolutionnaire russe.

L'Organisation

de l'Internationale

La tâche immense que s'est imposée l'Association Internationale des Travailleurs, celle de l'émancipation définitive et complète des travailleurs et du travail populaire du joug de tous les exploiteurs de ce travail, des patrons, des détenteurs des matières premières et des instruments de production, en un mot de tous les représentants du capital, n'est pas seulement une œuvre économique ou simplement matérielle, c'est en même temps et au même degré une œuvre sociale, philosophique et morale ; c'est aussi, si l'on veut, une œuvre éminemment politique, mais seulement dans le sens de la destruction de toute politique, par l'abolition des Etats.

Nous ne croyons pas avoir besain de démontrer que dans l'organisation actuelle, politique, juridique et sociale des pays* les plus civilisés, l'émancipation économique des travailleurs est impossible, et que par conséquent pour l'atteindre et pour la réaliser pleinement, il faudra détruire toutes les institutions actuelles : Etat, Eglise, Forum juridique, Banque, Université, Administration, Armée et Police, qui ne sont en effet qu'autant de forteresses élevées par le privilège centre le prolétariat ; et il ne suffit pas de les renverser dans an seul pays, il faut les renverser dans tous les pays, parce que depuis la fondation des Etats modernes au XVIIe et au XVIIIe siècle, il existe entre toutes ces institutions, à travers les frontières de tous les pays, une solidarité toujours croissante et une très forte alliance internationale.

La tâche que l'Association Internationale des Travailleurs s'est imposée n'est donc pas moindre que celle de la liquidation complète du monde politique, religieux, juridique et social actuellement existant, et son remplacement par un monde économique, philosophique et social nouveau. Mais une entreprise aussi gigantesque ne pourrait jamais se réaliser, si elle n'avait à son service deur leviers également puissants, également gigantesques, et dont l'un complète rautre ; le premier, c'ast l'intensité toujours croissante des besoins, des souffrances et des revendications économiques des masses; le second, c'est la philosophie sociale nouvelle, philosophie éminemment réaliste et populaire, ce «'inspirant théoriquement que de la science réelle, c'est-à-aire expérimentais et rationnelle à la fois, et n'admettant d'autres bases qme les principes hum*in«, expression des besoins éternels des masses, ceux de l'égalité, de la liberté et de l'universelle solidarité.

Poussé par ees besoin?, c'est au nom de ces principes que Je peuple doit vaincre. Ces principes ne lui sont pas étrangers ni même nouveaux, dans ce sens que, comme bous venons de le d«ref il les a de tout temps portés instinctivement en son sein» Il a toujours aspiré à non émancipation de tons les iougs qui Ymt ass&rvi, et comme fl est, lui le travailleur, le nourricier de la société, le créateur de la civilisation et de toutes les richesses, — le dernier tsclave, le plus esclave de tous les escla-

Tes ; et comme il ne peut s'émanciper sans émanciper tout le monde avec lui, il a toujours aspiré à l'émancipation de tout le monde, c'est-à-dire à l'universelle liberté. Il a toujours passionnément rêvé l'égalité, qui est la condition suprême de la liberté ; et malheureux, éternellement écrasé dans l'existence individuelle de chacun de ses enfants, il a toujours cherché son salut dans la solidarité. Jusqu'à présent le bonheur solidaire ayant été inconnu ou du moins peu connu, et vivre heureux ayant signifié vivre égoïstement aux dépens, par l'exploitation et par l'asservissement d'autrui, seuls les malheureux, et par conséquent les masses populaires, ont senti et réalisé la fraternité.

Donc la science sociale, en tant que doctrine morale, ne fait autre chose que développer et formuler les instincts populaires. Mais, entre ces instincts et cette science, il y a cependant un abîme qu'il s'agit de combler. Car si les instincts justes avaient suffi pour la délivrance des peuples, il y a longtemps qu'ils eussent été délivrés. Ces instincts n'ont pas empêché les masses d'accepter, dans le cours si mélancolique, si tragique de leur histoire, toutes les absurdités religieuses, politiques, économiques et sociales, dont elles ont été éternellement les victimes.

Il est vrai que les expériences cruelles par lesquelles elles ont été condamnées à passer n'ont pas été toutes perdues par les masses. Ces expériences ont créé dans leur sein une sorte de conscience historique et de science traditionnelle et pratique, qui leur tient lieu très souvent de science théorique. Par exemple, on peut être certain aujourd'hui qu'aucun peuple de l'occident de l'Europe ne se laissera plus entraîner ni par un charlatan religieux ou messianique nouveau ni par aucun fourbe politique. On peut dira aussi que le besoin d'une révolution économique et sociale se fait vivement sentir aujourd'hui dans les masses populairés de l'Europe ; car. si l'instinct collectif des masses ne s'était pas si clairement, si profondément, si résolument prononcé dans ce sens, il n'est pas de socialistes au monde, fussent-ils même des hommes du plus grand génie, qui eussent été capables de les soulever.

Les peuples sont prêts, ils souffrent beaucoup, et, qui plus est, ils commencent à comprendre qu'ils ne sont pas du tout obligés de souffrir et, fatigués de tourner sottement leurs aspirations vers le ciel, ils ne sont plus disposés à montrer beaucoup de patience sur la terre. Les masse*», en un mot, indépendamment même de toute propagande, sont devenues sincèrement socialistes. La sympathie universelle et profonde que la Commune de Paris a rencontrée dans le prolétariat de tous les pays en est nne preuve.

Mais les masses, c'est la force, c'est au moins l'élément essentiel de toute force ; que leur manque-t-il donc pour renverser nn ordre de choses qu'elles détestent ? Il leur manque deux choses : l'organisation et la science, les deux choses précisément qui constituent aujourd'hui et qui ont toujours constitué la puissance de tous les gouvernements.

Donc l'organisation, d'abord, qui d'ailleurs ne peut s'établir sans le concours de la science. Grâce à l'organisation militaire, un bataillon, mille hommes armés peuvent tenir et tiennent effectivement en respect un million de peuple aussi armé, mais désorganisé. Grâce h l'organisation bureaucratique, l'Etat, avec quelques centaines de mille employés enchaîne de* pays immenses. Donc pour créer une loree populaire capable d'écraser la foret militaire et civile de l'Etat, il faut organiser le prolétariat.

C'est ce que fait précisément l'Association Internationale des Travailleurs, et le jour où elle aura reçu et organisé dans son sein, la moitié, le tiers, le quart ou seulement la dixième partie du prolétariat de l'Europe, l'Etat, les Etats, auront cessé d'exister. L'organisation de l'Internationale ayant pour but, non la création d'Etats ou de despotismes nouveaux, mais la destruction radicale de toutes les dominations particulières, doit avoir un caractère essentiellement différent de l'organisation des Etats. Autant cette dernière est autoritaire, artificielle et violente, étrangère et hostile aux développements naturels des intérêts et des instincts populaires ; autant l'organisation de l'Internationale doit être libre, naturelle et conforme en tous points à ces intérêts et à ces instincts. Mais quelle est l'organisation naturelle des masses ? C'est celle qui est fondée sur les déterminations différentes de leur vie réelle, quotidienne, par les différentes espèces do travail, c'est l'organisation par coiys de métiers. Du moment que toutes les industries seront représentées dans l'Internationale, y compris les différentes exploitations de la terre, son organisation, l'organisation des masses populaires sera achevée.

On pourrait nous objecter que cette manière d'organiser l'influence de l'Internationale sur les masses populaires semble vouloir établir, sur les ruines des anciennes autorités et des gouvernements existants, un système d'autorité et un gouvernement nouveaux.' Mais ce serait là une profonde erreur. L'action organisée de l'Internationale sur les masses se distinguera toujours de tous les gouvernements et de l'action de tous les Etats, par cette propriété essentielle de n'être

S ne l'action naturelle, non officielle, 'une simple opinion, en dehors de toute autorité. Il y a entre la puissance de l'Etat et celle de l'Internationale la même différence qui existe entre l'action officielle de l'Etat et l'action naturelle d'un club. L'Internationale n'a et n'aura jamais qu'une grande puissance d'opinion et ne sera jamais que l'organisation de l'action naturelle des individus sur les masses, tandis que l'Etat et toutes les institutions de l'Etat : l'Eglise, l'université, le forum juridique, la bureaucratie, les finances, la police et l'armée, sans négliger sans doute de corrompre autant Qu'elles le peuvent l'opinion et la volonté tos sujets de l'Etat, en dehors même de cette opinion et de cette volonté, et le plus souvent contre elles, réclament leur obéissance passive, sans doute dans la mesure, toujours très élastique, reconnue et déterminée par les lois.

L'Etat, c'est l'autorité, la domination et la puissance organisées des classes possédantes et soi-disant éclairées sur les masses; l'Internationale, c'est la délivrance des masses. L'Etat ne voulant jamais et ne pouvant jamais vouloir que l'asservissement des masses, fait appel à leur soumission. L'Internationale, ne voulant autre chose que leur complète liberté, fait appel à. leur révolte. Mais afin de rendre cette révolte puissante à son tour et capable de renverser la domination de l'Etat et des classes privilégiées uniquement représentées par l'Etat, l'Internationale doit s'organiser. Pour atteindre ce but elle emploie seulement deux moyens qui, alors même qu'ils ne seraient point toujours légaux — la légalité n'étant, la plupart du temps, dans tous les pays, autre chose que la consécration juridique du privilège, c'est-à-dire de l'injustice — sont, au point de vue du droit humain, aussi légitimes l'un que l'autre. Ces deux moyens, nous l'avons dit, c'est d'abord la propagande de ses idées, et, ensuite, l'organisation de l'action naturelle de ses membres sur les masses.

À quiconque prétendrait qu'une action ainsi organisée est encore un attentat à la liberté des masses, une tentative de créer une nouvelle puissance autoritaire, nous répondrons qu'il n'est ou bien qu'un sophiste ou un sot. Tant pis pour ceux qui ignorent la loi naturelle et sociale de la solidarité humaine, au point de s'imaginer que l'indépendance mutuelle absolue des individus e des masses soit une chose possible, ou même désirable. La désirer, c'est vouloir l'anéantissement même de la société, car toute la vie sociale n'est autre chose que cette dépendance mutuelle incessante des individus et des masses. Tout individu, même le plus intelligent, le plus fort, et surtout les intelligents et les forts, en sont à chaque instant de leur vie, à la fois les producteurs et les produits. La liberté même de chaque individu est la résultante toujours de nouveau reproduite de cette masse d'influences matérielles, intellectuelles et morales que tous les individus qui l'entourent, que la société au milieu de laquelle il naît se développe et meurt, exerce sur lui. Vouloir échapper à cette influence, au nom d'une liberté transcendante, divine, absolument égoïste et se suffisant à elle-même, c'est la tendance au non-être ; vouloir renoncer à l'exercer sur autrui, c'est renoncer à toute action sociale, à l'expression même de sa pensée et de ses sentiments, c'est encore aboutir au non-être ; cette indépendance tant prônée par les idéalistes et les métaphysiciens, et la liberté individuelle conçue dans ce sens — c'est donc le néant.

Dans la nature comme dans la société humaine, qui n'est encore autre chose que cette même nature, tout ce qui vit b*

— lotit qu'à cette condition suprême d'intervenir de la manière la plus positive, et aussi puissamment que le comporte sa nature, dans la vie d'autrui. L'abolition de cette influence mutuelle serait donc la mort. Et quand nous revendiquons la liberté des masses, nous ne prétendons nullement abolir aucune des influences naturelles ni d'aucun individu, ni d'aucun groupe d'individus qui exercent leur action sur elles ; ce que nous voulons,, c'est l'abolition des influences artificielles, privilégiées, légales, officielles. Si l'Eglise et l'Etat pouvaient être, des institutions privées, nous en serions les adversaires, sans doute, mais nous ne protesterions pas contre leur droit d'exister. Mais nous protestons contre eux parce que tont en étant, sans doute, des institutions privées dans ce sens qu'elles n'existent que pour l'intérêt particulier des classes privilégiées, elles ne s'en servent pas moins de la force collective des masses organisées dans ce but, pour s'imposer autoritairement, officiellement, violemment aux masses. Si l'Internationale pouvait s'organiser en Etat, nous en deviendrions, nous ses partisans' convaincus et passionnés, les ennemis les plus acharnés.

Mais c'est que précisément elle ne peut pas s'organiser en Etat ; elle ne le peut pas d'abord, parce que, comme son nom l'indique assez, elle abolit toutes les frontières ; et il n'est point d'Etat sans frontières, la réalisation de l'Etat universel, rêvé par les peuples conquérants et par les plus grands despotes du monde, «'étant historiquement démontrée impossible. Qui dit Etat, dit donc nécessairement plusieurs Etats, oppresseurs et exploiteurs au dedans, conquérants plus ou moins hostiles au dehors, — dit négation de l'humanité. L'Etat universel, on bien l'Etat populaire dont parlent les eommufcistes allemands, ne peut donc

signifier qu'une chose: Vabolition de l'Etat.

L'Association Internationale des Travailleurs n'aurait point de sens si elle ne tendait pas invinciblement à l'abolition de l'Etat. Elle n'organise les masses populaires qu'en vue de cette destruction. Et comment les organise-t-elle ? Non du haut en ba*, en imposant à la diversité sociale produite par les diversités du travail dans les masses, ou en imposant à la vie naturelle des masses une unité et un ordre factice, comme le font les Etats; mais du bas en haut, au contraire, en prenant pour point de départ l'existence sociale des masses, leurs aspirations réelles, et en les provoquant, en les aidant à se grouper, à s'harmoniser et à s'équilibrer conformément à cette diversité naturelle d'occupations et de situations.

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Mais pour que l'Internationale, ainsi organisée de bas en haut, devienne une force réelle, une puissance sérieuse, il faut que chaque membre dans chaque section soit beaucoup mieux péuétré des principes de l'Internationale qu'il ne l'est aujourd'hui. Ce n'est qu'à cette condition que dans les temps de paix et de calme il pourra remplir efficacement la mission de propagateur et d'apôtre et dans les temps de luttes celle d'un vrai révolutionnaire.

Eu parlant des principes de l'Internationale, nous n'en entendons pas d'autres que ceux qui sont contenus dans les considérants de nos statuts généraux votés par le congrès de Genève. Ils sont si peu Bombreux que nous demandons la permission de les récapituler ici :

L'émancipation du travail doit être Vœuvre des travailleurs eux-mêmes :

2° "Les efforts des travailleurs pour conquérir leur émancipation ne doivent pa* tendre à constituer de nouveaux privilèges, mais à établir pour tous (les hommes vivant sur la terre) des droits et des devoirs égaux, et à anéantir toute domination de classe ;

3° L'assujettissement économique du travailleur à Vaccapareur des matières premières et des instruments de travail est la source de la servitude dans toutes ses formes : misère sociale, dégradation mentale, soumission politique ;

4° Pour cette raison, l'émancipation économique des classes ouvrières est le grand but auquel tout mouvement politique doit être subordonné comme simple moyen ;

5° L'émancipation des travailleurs n'est pa* un problème simplement local ou national; au contraire, ce problème intéresse toutes les nations civilisées, sa solution étant nécessairement subordonnée à leur concours théorique et pratique ;

6° L'Association aussi bien que tous ses membres reconnaissent que la vérité, la justice, la morale doivent être la base de leur conduite envers tous les hommes sans distinction de couleur, de croyance ou de nationalité ;

7° Enfin ils considèrent comme un devoir de réclamer les droits de l'homme et du citoyen, non seulement pour les membres de l'Association, mais encore pwr quiconque accomplit ses devoirs. — c Pas de devoirs sans droits, pas de droits sans devoirs. >

Nous savons maintenant tous que ce programme si simple, si juste, et qui exprime d'une manière si peu prétentieuse et si peu offensive les réclamations les pins légitimes et les pins humaines du prolétariat, contient en lui, précisément parce qu'il est un programme exclusivement humain, tous les germes d'une immense révolution sociale : le renversement de tout ce qui est et la création d'un monde nouveau.

Voilà ce qui doit être maintenant expliqué et rendu tout à fait sensible et clair à tous les membres de l'Internationale. Ce programme apporte avec lui une science nouvelle, une nouvelle philosophie sociale qui doit remplacer toutes les anciennes religions, et une politique toute nouvelle, la politique internationale, et qui comme telle, nous nous empressons de le dire, ne peut avoir d'autre but que la suppression des Etats. Pour que tous les membres de l'Internationale puissent remplir consciencieusement leur double devoir de propagateurs et de révolutionnaires, il faut que chacun d'eux soit pénétré autant que possible lui-même de cette science, de cette philosophie et de cette politique. Il ne leur suffit pab de savoir et de dire qu'ils veulent l'émancipation économique des travailleurs, la jouissance intégrale de son produit pour chacun, l'abolition des classes et de l'assujettissement politique, la réalisation dt la plénitude des droits humains et l'équivalence parfaite des devoirs et des droits

Kur chacun, — l'accomplissement dt umaine fraternité, en un mot. Tout cela est sans doute fort bien et fort juste, mais si Iob ouvriers de l'Internationale s'initient à ces grandes vérités, sans en approfondir les conditions, las conséquences et l'esprit, et s'ils se contentent de les répéter toujours et toujours sous cette forme générale, ils courent biefe le risqua d'en faire bientôt des paroles creuses et stériles, des lieux communs incompris.

Mais, dira-t-on, tous les ouvriers, alors même qu'ils sont des membres de l'Internationale, ne peuvent pas devenir des savants ; et ne suffit-il pas qu'au sein de cette Association, il se ti ouve un groupa d'hommes qui possèdent, aussi complètement que cela se peut de nos jours, la science, la philosophie et la politique du socialisme, pour que la majorité, le peupla de l'Internationale, en obéissant avec foi à leur direction et à leur commandement fraternel (style de M. Gambetta, le Jaco-bin-dictateur par excellence), ne puisse pas dévier de la voie qui doit le conduire à l'émancipation définitive du prolétariat ?

Voilà un raisonnement que nous avons assez souvent entendu, non ouvertement émettre, — on n'est ni assez sincère, ni assez courageux pour cela, — mais développer sous main, avec toutes sortes de réticences plus ou moins habiles et de compliments démagogiques adressés à la suprême sagesse et à l'omnipotence du peuple souverain, par le parti autoritaire dans l'Internationale. Nous l'avons toujours passionnément combattu, parce que nous sommes convaincus que du moment que l'Association Internationale se partagerait en deux groupes : l'un comprenant l'immense majorité et composé de membres qui n'auraient pour toute science qu'une foi aveugle dans la sagesse théorique et pratique de leurs chefs ; et Vautre composé seulement de quelques dizaines d'individus-directeurs, — cette institution qui doit émanciper l'Humanité^ se transformerait elle-même en une sorte d'Etat oligarchique, le pire de tous les Etats ; et qui plus est, que cette minorité clairvoyante, savante et habile qui assumerait, avec toutes les responsabilités, tous 1m droits d'un gouvernement d'autant plus absolu, que son despotisme se cache soigneusement sous les appparences d'an respect obséquieux pour la volonté et pour les résolutions du peuple souverain, résolutions toujours inspirées par lui-même à cette soi-disant volonté populaire ; — que cette minorité, disons-nous, obéissant aux nécessités et aux conditions de sa position privilégiée et subissant le sort de tous les gouvernements, deviendrait bientôt et de plus en plus despotique, malfaisante et réactionnaire.

L'Association Internationale ne pourra devenir un instrument d'émancipation pour l'humanité, que lorsqu'elle sera d'abord émancipée elle-même, et elle ne le sera que lorsque, cessant d'être divisée en deux groupes : la majorité des instruments aveugles et la minorité des machinistes savants, elle aura fait pénétrer dans la conscience réfléchie de chacun de ses membres la science, la philosophie et la politique du socialisme.

GENÈVE Imprimerie des Unions

ouvrières (journée de huit heures)

_ 1914 _

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