Publication mensuelle de l'Anarchie

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E. AftMAND

L'Anarchisme

comme vie et activité individuelles

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Les 35 exemplaires : 1 Iranc — Le cent : 3 franot

Août 199 7

Imprimerie spéciale de l'ANARCHIE, 80 bis. b,J de la Villette. Paris.

Le Gérant : L. LOflVKT.

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LAnarchisme

comme vie e! activité individuelles

I

Dire que le mouvement anarchiste embrasse plusieurs tendances, cc n'est rien avancer de nouveau ; l'étonnant serait qu'il en fût autrement. Place a l'extrême avant-garde des autres partis, hors parti plutôt, cc mouvement n'existe que grâce aux individualités qui le composent; comme il n'y a pas de programme anarchiste, qu'il n'est que des anarchistes, il en découle que chacun de ceux qui se réclament du qualificatif d'anarchiste n sa façon à lui de concevoir l'anarchisme. Les persécutions, les difficultés, les luttes de toute espèce exigent que quiconque fait profession d'anarchisme possède une mentalité peu ordinaire. réfléchisse, soit en état de réaction continuelle vis-à-vis du milieu dont les composants, au contraire,' ne réfléchissent pas et sont tout disposés à accepter une doctrine facile, point fatigante pour les cerveaux. Demander que tous les anarchistes aient sur l'anarchisme des vues semblables, c'est demander l'impossible. De là viennent les divergences de conception qui se manifestent parmi eux.

Il semble cependant qu'un trait d'union indélébile unisse les anarchistes : cc trait d'union c'est la révolte, la rébellion contre tout étal de choses où rognent l'autorité — la domination de l'homme sur rhomme, la domination morale et intellectuelle — et l'exploitation, forme économique de l'autorité. Est anarchiste quiconque nie l'autorité de l'homme sur son semblable et l'exploitation de l'homme par son semblable. Je ne rappelle qu'en passant l'étymologie du mot anar. chie : négation d'autorité.

Mais cette définition n'aurait qu'une valeur négative si elle n'avait comrrm complément pratique un nffort conscient pour vivre hors de cette autorité et de cette exploitation qui sont incompatibles avec la conception anarchiste. De sorte qu'est anarchiste l'individu qui, consciemment, soit qu'il y ait été amené par le raisonnement, soit qu'il y ait été amené par le sentiment, vit autant que possible hors I autorité et hors l'exploitation. De la, découle que l'anarchisme n'est pas uni-qnement une doctrine philosophique, — les doctrines philosophiques abondent par milliers — il est une vie, une attitude, une méthode de vie individuelle.

L'anarchiste n'est pas seulement converti intellectuellement h des idées qui se réaliseront quelque jour, dans quelques'siècles, il tend dès maintenant — car pour lui le moment actuel compte uniquement — il vise dès à présent à pratiquer ses conceptions dans l'existence jour-

nalière, dans les rapports quotidiens avec ses camarades, dans le contact avec ses semblables ne partageant pas ses idées.

La tendance caractéristique de tout organisme sain et vivant est de se reproduire. Ne tendent pas à se reproduire les organismes malades ou en voie de dégénérescence — ceci au point de vue cérébral comme au point de vue purement génésique. L'anarchiste tend donc à se retrouver, à se perpétuer en d'autres individus qui partageront ses conceptions et qui rendront possible, sur une échelle plus ou moins vaste, un état de choses d'où seront bannies autorité et exploitation. C'est ce désir, cette volonté, non plus seulement de vivre, mais aussi de se reproduire, que nous dénommerons activité.

Ces considérations expliquent notre titre : l'anarchisme comme vie et comme activité. Tendant à vivre hors l'autorité et hors l'exploitation, ~ tendant à vivre sa vie propre, individuelle, au risque d'entrer intellectuellement, moralement, économiquement, en conflit avec l'environnement — l'anarchiste tend en même temps à susciter par la voie de la sélection dans ce même environnement des êtres affranchis comme lui des préjugés d'autorité et d'exploitation afin qu'actuellement le plus grand nombre possible d'hommes vivent leur vie propre, individuelle, se réunissant à leur tour par affinités personnelles, afin de réaliser leurs conceptions.

L'anarchiste ne vit pas isolé intellectuellement ; plus les individus partageant ses conceptions grossissent en nombre, plus il a de chances de voir ses aspirations réalisées, plus il est heureux par conséquent. Plus les individus composant son espèce grossissent en nombre, plus diminue l'empire de l'ambiance sur sa propre vie. Plus sa propagande est étendue et plus son activité grandit ; et plus sa vie s'intensifie.

Vis-à-vis de ses camarades par affinité, il établit ses relations sur la base de la camaraderie, de Ventr'aide. Il pratique fentr'aide dans l'espèce.

Ceux qui ne croient en rien.. Ceux qui ne respectent rien, lisent et diffusent

l'anarchie

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Individu convoient, cherchant à susciter, à sélectionner* d'autre* conscients — de déterminé par le milieu, tendant h devenir soi-déter-minant vivant pleinement et intensément, an sens normal du mot, actif, tel me paraît être l'anarc/its/e.

II

1/aiiarchisU est donc, en premier lieu, uu individu négateur ; fanarchiîsme est une conception individualiste, productrice d'individus. L'anarchiste est naturellement individualiste.

Les léga lit aires placent à la base de la société^ le fait légal : devant la loi, le constituant do la société n'est plus qu'un zéro ; que la loi d'un seul (autocratie), de plusieurs (oligarchie), ou de In ?r;nide majorité des membres de la société (démocratie), devant elle le citoyen doit faire taire ses aspirations, ses aspirations même les plus légitimes. Les légataires prétendent que si l'individu fait ainsi abstraction de sa personne devant la loit soi-disant- émanation de la société, cVst dons l'intérêt de la société elle-même et dans «on propre intérêt, puisqu'il est membre de la société.

A la vérité» la société telle que nous la connaissons se révitmc en ceci : que les classes dirigeantes ne laissent pénétrer dan* les masses profondes, par l'intermédiaire de l'Etat, que leurs propre? vues sur la culture, la morale et les conditions économiques, qu'elles érigent leurs vues en dogmes civils auxquels il n'est pas permis de porter atteinte sous peine de châtiment, comme autrefois sous le rèjrne de l'Eglise on ne tolérait pas qu'on attentât aux dogmes religieux sous peine de punitions sévères. L'Etat — forme laïque de l'Eglise — s'est substitue à celle-ci qui fut la forme religieuse de l'Etal, mais l'un el l'autre ont toujours poursuivi, comme but, de former non des Aires libres, mais de parfaits croyants ou de parfaits citoyens, autrement dit : des asservis au Dogme ou à la Loi.

L'anarchiste répond que là où il y a solidarité imposée, elle est nulle ; que la où il y n contrat forcé, il ne saurait plus être question ni de droits, ni de devoirs, — que la coercition le dégage des liens qui le rattachent à une soi-disant société dont il ne connaît les exécutifs que sous les espèces de législateurs, de juges, de policiers — qu'il « subit » la solidarité de ses relations quotidiennes. Solidarité fictive égale solidarité nulle.

Les socialistes placent le fait économique à la base de la société. Tonte la vie, h les en croire, se résoud en une question de production et de consommation. Et cette question résolue, le probN^mo humain. — avec sa complexité d'expériences intellectuelles et morales — se trouve résolu du même coup. L'individu peut être conscient, il peut être le dernier des ivrognes ou des mauvais camarade* : il ne saurait être intéressant que considéré comme producteur ou comme consommateur. Appel est fait 5 tous, à ceux qui réfléchissent comme h ceux qui ne réfléchissent pas ; tous ont droit au banquet collectiviste, fous ont droit au résultat de l'effort sans avoir besoin de tenter l'effort ; il ne s'agit que de se grouper, de s'emparer de la puissance permettant h main-mise sur le milieu, «lès Je milieu conquis, le collectivisme s'instaurera, cl <le gré ou de force fonctionnera, car on contraindra les récalcitrant* à obéir.

Quelqu'un a appelé le. socialisme : la religion du fait économique; il est certain qu'il existe une métaphysique socialiste ; elle enseigne que toutes les productions de l'activité humaine dépendent du fait économique. Point difficile à retenir c'est a la portée de tous les cer-vaux. Dès «on triomphe, le socialisme, dans se* différentes nuances demanda 5 son adepte d'être un bon producteur et un non moins bon consommateur, de se confier, quant à l'organisation de la production et dpi la consommation, aux lumières de? délégués élus ou imposés : il n'a cure d'en faire un individu : il en fera un fonctionnaire.

L'anarchiste ne ba«e pas plus la société sur le fait légal qu'il n» l'établit sur le fait économique ; bon citoyen, bon fonctionnaire. l>on producteur, bon consommateur.... cette huche enfarinée ne lui dit rien qui vaille. Il ignore quand la société collectiviste se réalisera. En attendant, il faut vivre, et œuvrer. Si Ion peut prouver qu'en certains cas# le fait économique ait déterminé fait intellectuel ou le fait moral, ne peut-on prouver aussi que ceux-ci aient sonvent déterminé celui-là ?

La vérité n'est-elle pas qu'ils se heurtent, se mêlent, se détermi-icnt réciproquement, alternativement ? Du socialisme réformiste an communisme révolutionnaire antiparlementaire en passant par le *vn dicalisme. Ions le* «vstème* socialistes font fi de l'individu, de la libre entente entre individus, donnent la première place à la majorité, an contrat économique imposé par le plus jrrand nombre.

L'anarchiste proclame qu'à mentalité transformée correspondra toujours un régime économique renouvelé, que ce n'est pas avec de* pierres tombant en poussière qu'on Mtira tin nouvel édifice social ; que do* Être* pétris de préjugés ne pourront jamais constituer qu'un ensemble pétri de préjugés : — qu'il importe donc avant tout d'établir des matériaux solides, île susciter, de sélectionner des individus.

S'il entre dans un syndicat sans égard à la couleur, l'anarchiste n'v pénètre que comme membre d'une profession déterminée, dan« l'espoir légitime d'obtenir, par l'action collective, une amélioration de son sort individuel ; mais qu'il obtienne une réduction d'heures de travail, une ancmenfalion de salaire, il ne verra Ih rien d'anarchiste. Au point de vue économique, dans les conditions actuelles, chaque anarchiste s'en tire de son mieux : celui-ci en travaillant cher un patron, cet autre en agissant extra-légalement, celui-là en profitant du syndicat, cet autre œuvrant dans un « milieu libre » ; aucune de ces façons de se tirer d'affaire d'ailleurs n'est plus « anarchiste » l'une que l'antre ; ce sont des « pis aller », rien de plus, rien de moins.

III

Puisque la conception anarchiste place l'individu à la base de toutes ces conséquences pratiques, il s'en suit, qu'elle ignore la morale collective, la règle de vie générale. L'anarchiste règle sa vie non d'à-près In loi, comme les légataires, non d'après une métaphysique donnée, comme les religieux et les socialistes, mais d'après ses propres besoins et ses aspirations personnelles, quitte à faire le* concessions nécessaires pour vivre avec ses camarades, le cas échéant. Sans pourtant faire de la camaraderie une obsession.

L'anarchiste sait fort bien que si la vie est riche à vivre, dans la mesure où elle est belle en expériences de toutes sortes, on ne devient plus capable de l'apprécier, lorsqu'on ne sait maîtriser ni ses penchants, ni ses passions ; il n'entend pas faire de la vie une sorte de jardin anglais soigneusement ratissé, monotone et lugubre 5 force d'être dépouillée d'imprévu ; non, non ; il veut la vivre pleine, intense : il attelle à son char mille chevaux, mais sans laisser la bride sur le cou d'aucun.

L'anarchiste nie l'autorité parce qu'il lui est possible de vivre sans autorité, réglant par le jeu de la libre entente ses rapports avec ses camarades, n'empiétant jamais sur la liberté d'aucun d'eux afin que nul d'entre eux n'empiète sur la sienne.

Mais vis à vis de ceux dont les préjugés ou l'intérêt l'empêchent de vivre sa vie, l'anarchiste ne se sentira aucune solidarité : il est trop de productions inutiles pour qu'il se sente lié par une solidarité économique quelconque. 11 est « réfraclaire », fatalement, serais-je tenté de dire, réfractaire au point de vue moral — sa morale n'est pas celle du milieu — au point de vue intellectuel — il pense autrement que le milieu — au point de vue économique — car les circonstances peuvent l'amener à vivre extra-Iégalement. — La pleine conscience que nul ito ses actes ne le diminuera intérieurement, lui est un critère suffisant. L'essentiel n'est-il pas qu'il demeure soi-même ?

L'anarchiste n'est-il pas d'ailleurs constamment en état de légitime défense vis-à-vis du milieu ?

Envoi d'un exemplaire, contre 0.50 adressé à E. Armand, 22, Cité Saint-Joseph, Orléans (Loiret).

IV

L'œuvre, l'activité anarchiste consiste donc non à augmenter le nombre des groupements basés sur le fait légal ou économique (Franc maçonnerie, Ligues de Droits de l'Homme ou autres, syndicats, etc...) mais à susciter, à sélectionner, — je me répète à dessein — des individus conscients, dégagés de préjugés. Ce sera avant tout une œuvre de sape, une œuvre de critique, une œuvre d'éducation» doublée de destruction. Une œuvre de libre examen et de recherche indépendante.

Ceux qui ne veulent ni dieux, ni maîtres, les ina daptés, les inassouvis, les indomptés lisent

Au lieu du parler d'amour en générait l'anarchiste parle modestement d entr aide entre camarades et encore entre camarades se sentant unis par affinités d'un genre ou d'un autre, par réciprocité.

Au lieu de reculer aux calendes socialistes ou communistes le bonheur individuel, il préconise sa recherche immédiate en proclamant la joie de vivre.

Au lieu de rêver de bâtir le grand bâtiment d'Harmonie avec des matériaux pris au hasard des ruines, des gravats, des décombres, il indique que le premier travail à effectuer est de détacher les pierres une à une de la grande carrière de l'humanité.

Les anarchistes ne sont ni des socialistes, ni des syndicalistes, ce sont des pionniers, des hors parti, des en dehors, des « en marge » de la morale, du bien et du mal, des « asociaux » si l'on veut. Ils vont, trébuchant, tombant parfois, se relevant bientôt, souvent triomphants et souvent vaincus. Mais ils vont et tout en vivant pour eux, ils creusent le sillon, ils ouvrent la brèche par où passeront plus tard les négateurs qui leur succéderont.

E. ARMAND.

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